Sierra Nevada

Fin de la Sierra

De Mammoth Lakes a Bridgeport.

La pause a Mammouth lakes constitue un repos bienvenu après des jours en autonomie. Je suis heureux de retrouver une bande d’amis rencontrés il y a 700km, lors mon premier jour. Ce groupe est vraiment attachant, très gai. C’est assez international, il y a notamment : Ben l’anglais, Rowan le Canadien, Olivia l’australienne, Tracy, Cameron et Brielle les américains. Mais aussi Pizza et Bad Apple, ces américains si pittoresques dont le niveau d’humour et d’accent est proportionnel à leur degré d’alcoolémie, c’est à dire souvent élevé. Le chambres d’hôtel étant chères en cette semaine de fête nationale nous réaliserons l’exploit ce soir là de dormir à 11 dans 2 chambres ! Pas très reposant, mais amusant.

Mammoth lakes est une station de ski qui propose des restaurants un peu plus subtils. a vrai dire, c’est un lieu qui attire la clientèle chic des grandes villes, San Francisco en particulier. Ainsi, je partage un vrai repas avec Guitte et Bird, une bonne salade de calamar et un verre de vin rouge très bons, mais au prix exorbitant.

2 jours de repos nous ont permis d’assister notamment à un Angleterre/Colombie assez distrayant. Animé par une bande de supporters anglais particulièrement chauvins et imbibés au jus de malt, le spectacle dans la salle devançait de très loin celui à la télévision. Les prolongations et les tirs au but ont délicieusement fait durer le plaisir. Ce fut une déferlante d’invectives, de tête entre les mains, d’ongles rongés, de chants le poing levé, de visages rougis, de ventres gras dégoulinants de maillots synthétiques trop serrés. La célébration du sentiment national atteint un niveau assez inquiétant. Tout cela pour finir avec une exultation finale qui leur permettra d’attendre le prochain match sereins, en ayant vécu par procuration des émotions prêtes à consommer. Un peu comme avec un Macdo ou un Closer : content pendant, vide après.

Bref, nous repartons vers Tulomne Meadows. C’est une petite étape de 2 jours. Quel bonheur de partir avec un sac à 10kg, retrouver le silence, le calme de la forêt. Le départ de Mammoth Lakes fut moins difficile que prévu, quoi qu’assez long. 3 bus différents nous remmènent au Trail. Je suis plutôt en forme, et la jambe gauche qui me chatouillait il y a 3 jours a bien voulu se faire oublier. C’est un vrai soulagement, quand on sait combien de temps peut durer une tendinite, et comme elle peut pourrir des journées.

Si j’ai une devotion sur le chemin, c’est sûrement à mes jambes. Comme des mirages, mille douleurs sont apparues, et milles douleurs sont disparues quelques heures après. Le corps humain est vraiment étrange. Il faut l’écouter, lui faire confiance. La marche répare, et renforce. Même si le processus n’est pas linéaire. Mais si on s’accroche, avec des habitudes saines, le corps peut nous emmener loin et vite. Un marcheur du JMT me confiait pouvoir reconnaître les marcheurs du PCT à leur vitesse, en particulier en côte. C’est vrai qu’au bout d’un mois, on ne sent quasiment plus les montées.

L’incendie de forêt dégageant toujours sa fumée, le matin est assez avare en vue dégagées. Mais assez vite, l’air devient limpide. Et c’est la même immersion dans des paysages grandioses qui redémarre. On ne se lasse pas de cette nature généreuse en couleurs et contrastes.

Dans les forêts, les arbres ont toujours la vedette. Ceux qui sont tombés sont si nombreux qu’ils ressemblent à un jeu de mikados. Leurs troncs alimentent ainsi un écosystème complet. Certains ont été réduits en miettes par les ours, à la recherche de larves goûteuses. Les arbres morts restés sur pied prennent des poses spectaculaires. Vivants, ils montrent leur puissance, morts, ils ont la délicatesse de rester élégants.

On retrouve partout les sympathiques marmottes, à peine effrayées par mon passage. Mais aussi une espèce d’oiseau qui tranche particulièrement avec l’environnement, dans sa livrée bleu vif.

Le charme des sierras fait encore son effet, et c’est après 30km avalés assez facilement que je bivouaque au pied du col Donohue. Il marque l’entrée dans le célèbre parc du Yosemite et la fin des hauts cols. Je déguste ces derniers passages. Bientôt, ils me manqueront, et je m’en souviendrais avec nostalgie. Malgré la puissance des paysages, toujours aussi prégnante, on sent que la Sierra se tasse un peu. Les dénivelés se font plus timides, les cols plus accessibles, la neige plus rare, le minéral moins prolifique et se diversifie.

Le granit cède un peu de place au basalte et a d’autres roches prenant des teintes grises, bleutées, vertes, orangées.

Scrat

Combinaison anti-moustiques

Monarques prolétaires

Ranger consciencieux

J’arrive finalement à Tuolmne Meadows : son parking, sa tente magasin, son camping. De là, il est possible de faire un détour par la vallée du Yosemite. Elle est particulièrement célèbre et fréquentée, en partie grâce (à cause ?) à sa proximité avec San Francisco. Elle vaut vraiment le détour paraît-il, et est l’une des attractions naturelles majeures aux États-Unis. J’ai vu beaucoup de hautes formations de granit ces derniers jours dans les hautes sierras, mais ici, les monts sont dépourvus de végétation, plus raides, plus impressionnants, la vallée particulièrement encaissée. Va pour un jour off, c’est l’occasion ou jamais, il faut aller vérifier !

Je me prépare psychologiquement à m’immerger dans un tourisme de masse. Cela m’amuse toujours, du moins au début. Le spectacle de mes contemporains transhumant en troupeau est à la fois déprimant et divertissant. Un extrême opposé toujours saisissant avec la quiétude, la majesté du lieu visité. Ca ne loupe pas, les voilà tous entassés autour de la même cascade, l’air réjoui, tandis qu’à 200 mètres de la, les paysages sont vierges.

La vallée du Yosemite offre également un contraste étonnant : au centre, la profusion de vie rendue possible par une rivière et une plaine accueillante, horizontale, et sur les côtés, des murs de 1000m de granit verticaux. L’harmonie des perpendiculaires.

El Capitan est le nom donné à une paroi spécifique de cette vallée. Renommée dans le monde entier, c’est un peu la Mecque des grimpeurs, car elle offre un mur de granit lisse de près de 1000m de haut. Ceux qui ont le niveau pour la tenter en font l’ascension en 2 ou 3 jours. Pour Alex Honnold, moins de 4 heures, et sans assurance (free solo). C’est étonnant de retrouver quelque chose d’aussi extrême dans un environnement si serein, aussi proche d’un des pôles touristiques les plus actifs des États Unis.

Ou est Charlie ?

El Capitan

Le lendemain, après des hotdogs au feu de bois avec Bird la californienne et Lupin (Guitte) la danoise, arrosé de cabernet californien, je continue mon périple dans le parc du Yosemite. Le chemin se perd sur ces dalles de granit lisse et ces dômes arrondis. Le temps est superbe et accentue la réverbération sur ce sol si clair. J’alterne les passages entre forêts et zones dégagées. Des torrents a l’eau d’une pureté absolue se fraient un passage dans ce capharnaüm de rocher, tantôt mollement, tantôt en glissades, ou en cascades.

Je n’en ai pas fini des cols. De Tulomne Meadows à Sonora pass, c’est pas moins de 7 cols à passer. Moins hauts et exigeants que ceux rencontrés auparavant, ils restent assez solides. La végétation pousse jusqu’en haut, mais les hivers rudes forcent les arbres à se tasser sur eux mêmes. Les rochers sont coupés en deux par le gel. Des petits lacs parsèment ces cols. Tous sont différents, et leur eau limpide réchauffée par le soleil invite à la baignade.

Benson Lake est particulièrement étonnant. Il se cache au fond d’un cirque de pierre, défendu par une forêt dense comme seul point d’accès. Quelle surprise de découvrir après 15 minutes de forêt, entre deux cols de montagne, une véritable plage de sable sur près d’un kilomètre de long ! C’est un endroit idéal pour faire étape, et j’ai bien failli y passer l’après midi, voire y camper. Un lieu surréaliste, paradisiaque, qui tranche avec le fracas des roches et la densité des forêts. Mais mon programme de marche intégrait un col supplémentaire. J’ai donc fini la journée en marchant au lieu de barboter dans le lac.

Cette section est assez reculée, les randonneurs se font plus rares. Je passe facilement une demi-journée sans croiser personne. En fait, la majorité font le PCT et les rencontres s’espacent. C’est très appréciable après des jours passés sur la portion très fréquentée du JMT. Ce sentiment de solitude est assez intéressant, et il faut toujours gérer mentalement ces fins de journées qui peuvent sembler très longues, la fatigue aidant.

La dernière section m’amène à Sonora pass. Ceux qui ont démarré du Mexique, fêtent leur 1000ème mile (1600km). Pour ma part, 550 miles. À partir de ce col, il s’agit de rejoindre la petite ville de Bridgeport en auto-stop, pour réapprovisionner. J’envisageais une simple étape de liaison, mais c’est un véritable spectacle qui s’est déroulé sur une vingtaine de kilomètres. Une sorte de feu d’artifice d’adieu à la Sierra. Je marche temporairement avec Ran et Guitte, avec qui j’ai partagé quelques kilomètres sur les étapes précédentes.

D’abord en fond de vallée, le chemin monte tranquillement pour sortir des arbres, puis grimpe en lacets dans un versant modérément pentu. Le granit a déjà disparu. Arrivé à la crête, je suis récompensé par une vue magnifique sur le parc du Yosemite. À partir de ce moment, le chemin ne fait que longer la crête à perte de vue, et offre des vues fantastiques de part et d’autre. Quelques névés résiduels interrompent le tracé. Certains étant partiellement en glace et déversants, il faut garder sa concentration. Glissade rigoureusement interdite. En fait, c’est pour ce type de panorama et de tracé que l’on fait le PCT : un chemin qui reste sur les crêtes, sur des kilomètres, avec des vues à l’infini. À en oublier l’usure des kilomètres.

Bridgeport n’a pas gros intérêt, à part son côté pratique, et les bonnes discussions partagées avec les camardes de PCT retrouvés la.

J’y croise notamment un Suisse, qui me raconte avoir vécu cette dernière étape tout à fait différemment. Pour atteindre Bridgeport à temps, il a marché de nuit sur cette dernière étape. Il a vécu le côté magique des étoiles qui scintillent dans le lac, des orages au loin sur la Sierra, du clair de lune qui fait luire les rochers. Mais aussi le cauchemar de névés glacés sans crampons, de passages raides ou il ne faut pas glisser, de la perte de son chemin à plusieurs reprises… Et surtout de la recherche frénétique dans son sac de piles neuves pour améliorer d’urgence l’éclairage faiblissant de sa frontale, tandis que deux yeux verts luisants l’observent silencieusement dans l’obscurité. C’est un « mountain lion », un puma de belle taille qui l’accompagnera sur ses derniers kilomètres, jusqu’à la route du col de Sonora, lui tournant autour et le suivant à la trace, malgré tout le bruit et la lumière qu’il est possible de faire avec la voix et les quelques ustensiles a portée de main. En principe, ils n’attaquent pas, mais bon…

C’est aussi à cause de cela que je n’aime pas marcher de nuit !

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