GR20

Le syndrome du « fear mongering »

Autant que sur le PCT, un sport sévit fortement sur le GR20 : le « Fear Mongering ». Comprendre : diffuser des messages anxiogènes au gens que l’on croise ou sur les réseaux sociaux, sur les supposées difficultés et dangers du chemin. Cela se manifeste par exemple par un : « tu verras, le nord c’est bien plus dur que le sud, c’est difficile de doubler les étapes » ou un : « à cet endroit, ils ont installé des chaînes le long de la paroi, tellement le passage est dangereux ».

Tout cela part naturellement d’un bon sentiment. Mais j’ai appris à écouter avec une certaine distance ces prédicateurs de peurs en tout genre. D’abord, car les perceptions, l’expérience et la forme de chacun sur le chemin est différente. Ensuite, parce que les conditions météo et le temps dont on dispose influe fortement sur la dangerosité supposée de certains passages.

Au contraire de ce que les gens racontent, je m’amuse bien à passer ces barres rocheuses escarpées qui ponctuent cette partie du GR. Le granit accroche extraordinairement bien, les prises sont partout, l’exercice physique est plus complet, et il faut utiliser un peu d’imagination pour s’extraire de certains passages. Bref, rien de bien compliqué avec de bonnes chaussures et un niveau 0 en escalade. J’explose cependant consciencieusement les temps d’étape officiels prévus par le topoguide. Pas de groupe, peu de pauses, pas d’attente, pas de temps perdu. Mon sac léger m’aide aussi beaucoup à doubler les quelques randonneurs qui ont aussi opté pour ce trajet sud-nord.

A ce propos, je suis content d’avoir pris cette direction. J’échappe à la cohue de la foule qui descend vers le sud, au moins pendant la journée.

A mesure que le nord approche, je croise de plus en plus de randonneurs inexpérimentés, bruyants, peu respectueux et surchargés. Ceux qui remontent vers le nord sont moins nombreux et du coup, se reconnaissent facilement aux étapes. Comme ces quatre bretons de 26 ans, Max, Vincent, Steven et Guillaume, avec qui j’ai le plaisir de discuter en préparant mon dîner sur la terrasse du chalet de Petra Piana, avec vue imprenable sur le vide.

Ce matin, en partant du refuge vers 6h, je grimpe régulièrement mais sûrement le petit dénivelé de 200m qui me sépare d’une journée qui promet : sur les crêtes puis au travers des fameuses prairies d’altitude, ponctuées de « pozzines », ces petits lacs d’eau limpide. Les bretons me suivent à quelques encablures, sans me rattraper. Le terrain se densifie et les montagnes sont plus marquées. Je passe successivement les superbes lacs de Rinoso, Melo et Capitello, dans une solitude délicieuse et un soleil éclatant.

Puis je croise mes premiers Sobo (south bounders, ceux qui font vers le sud), alors que le terrain devient franchement accidenté, à travers les crènelures de la Punta Alle Porte. Je bascule à travers la brèche de Sorbo dans une de ces descentes implacables dont le GR20 a le secret, un infâme et raide pierrier qui broie les ménisques et crame les quadriceps. Mais le plus difficile est de maintenir sa concentration au fil des heures.

La brèche de Sorbo, vue du nord

J’arrive au refuge de Manganu avant midi et profite du déjeuner pour faire le point sur la situation. Il est encore tôt et je peux facilement doubler l’étape, en théorie : peu ou pas d’orages annoncés, des prairies faciles et une gentille descente jusqu’à Castellu di Vergio. En théorie seulement. Alors que je parcoure d’un bon pas ces fameux paysages de prairies d’altitude (qui n’ont rien à envier à leurs homologues du Yosemite), je vois des nuages se former à l’aplomb du chemin.

Pozzine

Bergerie de Vaccaghia

Lac de Nino

De mauvais nuages, boursouflés, verticaux et gris. Ça pue, je ne le sens pas. Je ne prends pas de risque, contrairement aux nombreux randonneurs à la journée qui reviennent retrouver leur voiture au parking du col du Vergio, sans se soucier du ciel, alors qu’ils s’engagent sur une heure de progression ultra exposée.

Je repère sur mon appli magique une solution de secours, de l’autre côté de la crête, épargnée par la perturbation.

Cette petite diversion me coûtera une heure, des genoux douloureux et une profonde fatigue de fin d’étape. Mais je ne regrette pas ce choix, même si le nuage s’est finalement dissipé de lui-même. Quand ma vie en dépend, je préfère faire demi tour et avoir tord que de prendre un risque en ayant raison. Peut-être, aussi, ais-je lu trop de récits dramatiques d’orages de montagne. Je ne la connais pas bien, raison de plus pour s’en méfier. La mer, que je connais un peu plus, m’a toujours enseigné la prudence, et la vitesse avec laquelle certaines situations peuvent devenir compliquées.

Mes amis bretons, qui ont choisi de suivre le GR, et sont sains et saufs, une bière à la main, assis et douchés sur la terrasse du refuge. Hike your own hike ! Je les envie un peu, mais si je les avais suivi, j’aurais terminé cette journée sur une note de stress dont je souhaite me passer sur ce GR.

Marcher seul implique des responsabilités, un mental qui fluctue, qu’il faut savoir gérer au regard des risques rationnels ou fantasmés. A plusieurs, le stress de l’un peu être contre balancé par la confiance de l’autre. C’est un confort, une force, mais aussi potentiellement dangereux, quand l’avis du groupe l’emporte, à tort.

En bref, je préfère me créer mon propre « fear mongering » que de subir celui du plus grand nombre.

Pour me remette, je m’offre une double ration de macaroni au Brocciu et sauté de veau à l’hôtel-restaurant local, et une demi bouteille de vin, malgré leur prix exorbitant. Ça change du poulet au curry lyophilisé. L’ambiance ressemble bizarrement à ces après-ski, ou tout le monde se raconte sa journée et flingue son budget, abruti par la fatigue et l’alcool. De nombreux groupes de randonnée organisée font relâche ici, pour reprendre des forces au chaud. En me mêlant à eux, en profitant de l’infrastructure et de sa moquette moelleuse, j’ai l’impression de conspirer à la triche collective.

La conversation avec mon voisin de table, un allemand de Brême, aussi volubile qu’un gardien de refuge du GR20, n’est pas à classer dans la catégorie mémorable.

Mais avec les quatre bretons, le contact passe bien et nous plaisantons ensemble. Nous avons plus ou moins le même programme, et nous nous donnons officieusement rendez-vous à la bergerie de Ballone, dès le lendemain.

Les 4 fantastiques

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