HRP

Pluies infernales

L’étape à Vielha fut efficace, le ravitaillement parfait. Un parfait « Nero », ou dans le jargon de la longue distance, une demi journée de halte. Nous avons même le temps de nous détendre en ville. Les parents d’Hélene, depuis quelques étapes, nous apportent en effet un soutien logistique précieux, qui nous permet de pus reposer, prendre une douche, stocker des affaires de rechange, et de nous procurer nos repas lyophilisés qui améliorent sensiblement l’ordinaire des diners. Cette assistance est précieuse et nous fait gagner du temps et de l’énergie.

Le sac rempli, nous remontons dormir au col de la Bonaigua avant de repartir vers l’ouest à l’assaut des versants du Parc National d’Aigüestortes, toujours côté espagnol. La nuit est fraîche, ventée, mais laisse la place à une météo magnifique pour attaquer la montée vers le lac de Gerber, et le refuge Gerber Mataro. La montée est sèche, les jambes sont là et nous dépassons de nombreux randonneurs dans la montée. Nous sommes partis trop vite ce matin, trop relachés sur l’étude du parcours : nous remontons la mauvaise vallée. Une vallée plus simple, plus au nord, menant directement au refuge de Saboredo, nous aurait permis d’économiser quelques précieuses forces dans notre journée-marathon. Nous ne faisons pas demi-tour pour autant. Là haut, nous pourrons obliquer au nord-ouest pour récupérer notre itinéraire idéal, en passant quelques cols. C’est sans compter les impétuosités du terrain à cette altitude, ainsi que la mauvaise qualité des cartes que nous avons téléchargées. Le temps perdu dans les blocs, les cols, barres rocheuses et dénivelé inutile nous font regretter une certaine impatience dans l’action et un manque de réflexion à priori. Nous perdons deux bonnes heures sur le timing d’une journée déjà bien fournie au départ : 9h minimum de marche. L’itinéraire paraissait simple sur la carte, mais est en réalité difficile à suivre et dangereux.

Nous retiendrons la leçon, et ne manquerons pas de prendre un soin particulier à télécharger les cartes sur notre application de cartographie « Iphigenie », à la fois les cartes de l’IGN Francaises, mais aussi leur équivalent espagnol. Iphigénie est un outil riche, puissant, adoré par les randonneurs français. Mais il nécessite quasiment un diplôme d’ingénieur pour l’utiliser correctement. L’interface utilisateur est vraiment à revoir, et ses tutoriels d’utilisation sensés la compenser provoquent alternativement chez moi la sieste ou la migraine. Le résultat est que nos cartes espagnoles sont bien trop sommaires, et que nous n’avons pas les cartes précises de la région. Je me plains, mais l’application est gratuite, éditée par un développeur passionné qui n’en mérite sûrement pas tant !

Malgré une barre rocheuse particulièrement délicate à passer (qui relève de l’escalade), nous atteignons péniblement le refuge de Saboredo, au fond de la vallée que nous aurions dû emprunter dès le départ, en suivant une piste. De nouveau sur la trace, nous déjeunons rapidement pour repartir vers le suivant, celui de Colomèrs. Notre petite diversion nous met en effet dans une position délicate : il y a un risque d’orage dans l’après midi, et nous devons passer plusieurs cols conséquents avant de redescendre pour se mettre à l’abri. Parvenus au refuge de Colomèrs en milieu d’après-midi, nous hésitons longuement. Continuer ou non ? Nous apercevons avec envie les randonneurs à l’étape, qui se relaxent autour de quelques bières en attendant le diner, au bord du joli lac de retenue du même nom que le refuge. Après de longues minutes d’hésitation au refuge de Colomers, nous prenons une décision.

Il est 17h quand nous nous choisissons finalement à tenter le coup, et prolonger la journée de 3h de marche supplémentaire, dont 2h en montée. Nous grimpons, sans arrêt, tendus, concentrés, un oeil sur les nuages, l’autre sur le chemin, une oreille sur le tonnerre. Décidément, cette randonnée est stressante. Finalement, nous atteignons sans encombre mais bien entamés le col de Caldes à près de 2500m d’altitude. Nous traversons ensuite un plateau désert, passons entre deux petits lacs, en restant en hauteur, le long du versant, puis remontons brièvement le col d’Oelhacrestada (à vos souhaits). C’est la dernière difficulté de la journée, et nous redescendons avec soulagement vers le Lac Deth Cap Deth Port (je de noms étranges). En confiance, nous décidons de camper près du lac, non loin du prochain refuge, dit de la « Restanca », qui sied en contrebas. Les deux randonneurs qui y campent nous comfirment le refuge est à 20 minutes, et que le lac est le dernier endroit plat pour bivouaquer. Nous avons le temps de diner tranquilement, les moustiques nous laissent tranquille. Mais la nuit sera épouvantable : avec l’obscurité, la pluie se met à tomber, sans discontinuer et à grosses gouttes, sans arrêt. De violentes rafales de vent cherchent à arracher la tente, tandis que l’on s’efforce de trouver le sommeil malgré la fureur extérieure. Je renonce aux bouchons d’oreilles : je veux être attentif à mon environnement. Heureusement, il n’y a pas d’orage, et notre coin de bivouac est bien choisi. Les piquets de ma tente tiennent bien dans la terre, la toile en DCF résiste bien mais fait un bruit infernal. La petite coupole naturelle d’herbe sur laquelle la tente est posée ne retient pas l’eau. Le niveau qui s’abat est celui d’une pluie tropicale, et la terre autour n’éponge plus rien, est rapidement saturée. Le lendemain, nous trouverons une flaque de 20 cm de profondeur à côté de la tente. De mémoire de bivouac, je n’ai jamais vu ça. Il n’y a qu’en Inde, sous la mousson, que j’ai connu tel déluge. Nous n’avons quasiment pas dormi de la nuit, et il faut bien reconnaitre que le lendemain matin, le moral n’y est pas. Il continue de pleuvoir, il neige même, dans la petite descente vers le refuge de la Restanca, le long d’un torrent en furie.

Le refuge ne nous donne malheureusement pas envie de rester. L’horaire n’est pas le bon, et nous dérangeons clairement les gardiens commencent le ménage après le départ des clients. Dehors, le temps est peu engageant, alternant entre averses de pluie glaciale et brouillard. Nous tentons de récupérer un peu après cette nuit difficile, sans trop y parvenir.

De guerre lasse, nous décidons de repartir et d’imiter les quelques randonneurs qui sont repartis braver les éléments. La marche est souvent un bon remède à la fatigue. Elle a la faculté de faire oublier la fatigue physique et nerveuse, à court terme en tout cas. Les prévisions ne sont pas optimistes, mais devraient nous permettre de rejoindre la vallée de l’Hospital de Vielha, quoi qu’il en coûte, comme dirait l’autre. Le risque d’orage plane toujours sur la journée, et nous décidons de prendre le risque, prêts à tout pour quitter cette nasse.

Nous grimpons dans la boue et les pierres trempées, les fougères gorgées d’eau aspergent nos chaussures. Après une heure ou deux, la pluie s’arrête, et le brouillard s’éclaircit. Nous n’osons pas croire à du beau temps. C’est pourtant ce qu’il se passe : le temps se dégage au fur et à mesure de notre ascention le long du Val de Rius et le ruisseau du même nom. Nous croisons un immense troupeau de brebis, qui nous observe passer avec curiosité, alors que le soleil joue avec les nuages. L’atmosphère se réchauffe, enfin. La météo est une fois de plus clémente. Nous profitons de l’atmosphère sauvage de l’endroit, contournons le lac de Rius, et déjeunons sur un joli promontoire avant d’attaquer la descente. Je ne suis pas serein et raccourcis la halte : de gros cumulus sont en formation, et je tiens à être le plus bas possible si la situation se dégrade. Nous dévallons le versant, contournons le cirque chapeauté par le Tuc de Conangles, atteignons les premiers arbres et rejoignons la piste qui nous ramène au fond de la vallée de Conangles, sains et saufs, fatigués et soulagés !

marmotte

Nous nous sommes donnés rendez-vous ici pour un ravitaillement express. C’est aussi un peu pour d’la que nous avons forcé l’allure. Ici, un tunnel perce la montagne et fait le lien avec le val d’Aran, et Vielha, plus au nord. Alors que nous attendons les parents d’Hélène, l’énorme nuage noir qui s’était formé dans le vallon opposé commence à gronder. Nous sommes en relative sécurité, protégés par le hameau de fond de valée à demi-abandonné depuis la construction du tunnel. L’orage, très violent, ne tarde pas à éclater, déverse sur nous des trombes d’eau et de grêle. Le petit abri qui protège les informations de la réserve naturelle est vite insuffisant. Nous devons nous couvrir, hisser nos sacs au dessus du sol inondé, et changer de coté du panneau au gré des rafales tourbillonnantes. L’orage poursuit sa course folle dans le vallon d’ou nous venons. Je plains les randonneurs que nous avons croisé, qui montaient vers le col. Heureusement, il est bref, et nous repartons rapidement au sud, les sacs pleins, sous un soleil neuf et franc, vers le bas de la vallée et le refuge de Conangles. Nous y faisons une petite halte pour nous rafraichir, et poursuivons notre chemin pour nous enfoncer vers l’ouest dans la Vall de Les Salenques. Ce vallon étroit est couvert de feuillus, au travers desquels un petit chemin grimpe à l’ombre, sans trop de possibilités de bivouac. Notre patience tarde à être récompensée : A bout de forces, nous jettons la tente sur l’un des rares endroits plats, proche du torrent, pour un bivouac bruyant humide mais très convenable. Nous avons choisi un itinéraire plus au sud que le tracé principal de la HRP. Nous passerons ainsi au sud du Pic d’Aneto, le point culminant des pyrénnées, en évitant le pic des Molières et ses cols redouté. En effet, quoique réputé plus spectaculaire, le passage par le nord est plus délicat, des névés persistent, et la météo ne nous incite ces temps ci à ne pas à rester trop en altitude. D’autre part, nous devons gérer notre fatigue, et avancer au maximum. Nous nous promettons de revenir admirer les glaciers de cette belle formation rocheuse, de la Maladeta, comme dans quelques autres endroits superbes que nous avons du laisser de côté, à regrets. Nous n’avons simplement pas le temps d’en perdre.

Pour autant, côté sud, les paysages ne devraient pas nous décevoir pour autant. Les prochains jours ne le démentiront pas.

3 commentaires

  • donquichotte

    Intéressante expérience que celle que tu décris à propos de l’erreur d’itinéraire. Il semble que la hrp necessite une bonne séance quotidienne de préparation de l’itinieraire et une bonne maîtrise des applis de randonnée.
    J’ai un excellent souvenir de randos à la journée à aigues tortes et dans le Val d’Aran et je rêve d’y retourner un jour en autonomie comme vous l’avez fait.

    • Dam

      C’est sur que la planification est plus compliquée, sans Guthook, la météo capricieuse, les cartes françaises et espagnoles, la multiplicité des chemins et des tentations. C’est bien de se donner le temps pour choisir et décider sur place d’insister sur certains coins vraiment sauvages, sans bétail ni traces humaines, finalement pas si courants, même sur la HRP…!

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