Un trail angel particulier
South Lake Tahoe est une ville à part. Elle s’étale, comme son nom l’indique, sur la rive sud du lac Tahoe. Le long d’une plage étroite. Et quand les américains s’étalent , ils ne le font pas à moitié. La ville doit faire 10 km de long, sur 1 de large. Heureusement, il y a cette fois ci un petit centre ville, regroupé autour du départ d’une télécabine. Le centre ville, c’est des magasins et des restaurants. La ville est en fait à la fois une station de ski l’hiver, et une plage l’été. C’est un lieu de vacances prisé des habitants de San Francisco, et sans doute une des meilleures stations de ski de la côte ouest. Elle jouit donc d’une belle activité toute l’année, et propose tout ce dont a besoin un marcheur.
South Lake Tahoe a aussi la particularité d’être à cheval sur deux états : la Californie et le Nevada. Et le Nevada, c’est les casinos (dont Las Vegas). L’architecture des casinos y est tout en délicatesse, en sobriété, un chef d’œuvre d’intégration dans le paysage, et de respect de l’habitat traditionnel. On retrouve avec malheur ce style cubique, avatar lointain hérité de ce cher Le Corbusier et du Bauhaus allemand. Déjà que dans une métropole, ça vieillit très mal, alors au milieu des montagnes, au bord d’un lac d’altitude…le triomphe du laid donc, et aussi un pied de nez de la mafia aux politiques, qui s’en sert de blanchisserie pour l’argent de la drogue. Plus c’est gros, plus ça passe.
Nous avons convenu avec Joe, ce « hiker » de Washington DC rencontré la veille, de nous retrouver pour voir la finale de la coupe du monde de foot. Rendez vous est pris dans un bar de la ville, à 8h locale. Le bar est sympa, rempli de supporters américains de la Croatie. Ils soutiennent en fait « l’underdog », la petite équipe qui peut faire vaciller le favori.
Comme pour le reste de l’actualité, on vit complètement déconnecté sur le chemin, dans les deux sens du terme. Ça ne m’a vraiment pas manqué. Le PCT, c’est aussi de faire la coupure, de limiter certaines ondes de distraction polluantes. Le foot est un peu la tête de proue de cette pollution, avec ces excès, et le retentissement démesuré qu’il génère. Il est ce mirage, ou le supporter croit être un acteur de la victoire alors qu’elle est limitée aux joueurs et à leur staff. Plusieurs fois, on m’a félicité pour la victoire. Cela part d’un bon sentiment, mais c’est complètement immérité. Tirer quelque fierté de cela, c’est de l’opportunisme.
Le bon côté des choses est que le foot rassemble. J’ai fait deux belles rencontres à l’occasion de ce match. À ma gauche, Joe donc, démocrate, hiker du PCT, et militant anti raciste. À ma droite, Taylor, retraité, républicain, soutenant la fermeture des frontières de Trump. FIGHT !
J’ai du intervenir pour que ces deux là n’en viennent pas aux insultes ! La scission entre les deux pôles politiques américains semble brûlante.
Taylor est un ancien footballeur de bon niveau, qui a joué dans des sélections américaines universitaires. Nous discutons, et à la fin du match, il me propose de emmener sur son bateau à moteur voir un tournoi de golf qui a lieu le long du lac. C’est un tournoi de célébrités, une exhibition, qui a lieu tous les ans, diffusée en direct à la television et qui a la particularité de remplir la ville et faire exploser le prix des chambres d’hôtel. Nous voilà donc sur le lac, par un temps radieux, tentant de nous frayer un chemin parmi les dizaines de bateaux badauds venus profiter du spectacle le long de la plage. Show a l’américaine, musique à fond, culte du corps, bière à gogo… le trou numéro 17 est aussi court que médiatisé. Difficile de faire un plus gros contraste avec le PCT. J’étais ravi de profiter de ce spectacle sans cesse renouvelé de la comédie humaine.
Dans la foulée, Taylor me propose de m’héberger, et de m’emmener à la pêche le lendemain matin, puis de me ramener sur le PCT.
Il possède ce petit cabanon, ainsi qu’une dépendance. Un chalet en rondins de bois, fabriqué de ses mains par son père, quand South Lake Tahoe était encore un petit village balnéaire tranquille. Tout est resté en l’état, ceinturé par les 3 cotés par des motels impersonnels. On lui a proposé plusieurs fois de lui racheter son terrain, dont un parrain de la mafia, mais il a toujours refusé.
Le soir, sous le pin et sur la terrasse en caillebotis, un verre de côtes un Rhône à la main, on aurait pu se croire au Cap Ferret. J’apprenais entre autres que Taylor était né a Palo Alto, voisin proche des Jobs et des Helwett et Packard. Cancre et Footballer de talent, il était venu au business plus tard, avec pas mal de réussite, pour finir sa vie confortablement. Une personne vraiment généreuse, avec qui j’ai passé un très bon moment, simple, sincère. Le beau visage de l’Amérique accueillante, quand elle fait confiance à autrui.
Le lendemain, nous partons pêcher à 7h du matin, sans succès, sur un lac à l’eau aussi limpide. Puis après un petit détour par une baie à l’eau couleur émeraude, il me ramène au PCT, à l’endroit où je l’avais quitté.
Curieuse Amérique, pleine de matérialisme et de citoyens votant avec leur porte monnaie, et en même temps si ouverte à l’autre.
Après 2 jours off, pas mal de bière et de vin, abruti par le soleil et un restaurant indien « all you can eat » qui m’a laissé quelques séquelles intestinales, je rejoins enfin le chemin.
Sans transition, je suis plongé dans ce silence de la forêt. Plus de bruit, plus de mouvement, plus personne. J’ai toujours un peu le trac avant de retrouver le trail. Il faut passer d’un coup du citadin au vagabond. Sans transition. Là, je mets quelques kilomètres à relancer la machine. Mais je suis toujours heureux de retrouver ce calme, malgré les quelques touristes qui fréquentent à la journée le lac à proximité.
Assez vite, quelques panoramas saisissants me font oublier la ville. Le lac Aloha, immense, austère, ses petits îlots, son cirque rocheux, son granit blanc qui se jette dans une eau bleu marine sous un grand soleil : baignade obligatoire. Je ne ferais même pas 15km ce jour là, mais tant pis. J’aurais même dû camper là, le lieu était idyllique, le temps parfait. Mais je dois avancer. Je fais l’erreur classique, j’arrive trop tard au bivouac repéré sur la carte. Je n’ai pas le temps pour un plan B, et finis par dîner en combinaison de lutte antiaérienne, étant pris à parti par une escadre de moustiques kamikazes, le genre de ceux qui ne font pas de prisonniers.
Et c’est ainsi que sous l’accueil chaleureux de ces parasites déterminés, je repars pour 6 jours jusqu’à Sierra City, ma prochaine étape.
2 commentaires
God
T’as tenté le « all you Can it indien!!!!! Je crois qu’après les ours je place ce danger au second rang des plus risqué..meme loin devant le danger des snakes
Dam
Ahahah exactement !