Le mont San Jacinto
Après Big bear Lake, le chemin descend le long de plusieurs canyons. Ces rivières très encaissées ont un débit famélique à cette époque de l’année : à peine un petit ruisseau, souvent souterrain. Mais cela permet quand même de ne pas transporter trop d’eau, et d’avoir un peu d’ombre. La végétation est plus diversifiée aussi, moins sèche, avec de superbes sycomores de Californie, ce qui change des résineux. A quelques endroits proches des routes, certaines personnes laissent des bonbonnes d’eau potable, à l’emplacement répertorié des fameuses « caches » : merci les Trail Angels.
En descendant, les températures se réchauffent nettement. De Big bear lake, où il faisait plutôt frisquet, on passe à des températures vraiment chaudes la journée (35*) et douces la nuit (15*) : Le désert tel que je l’ai connu en juin dernier.
Le chemin continue de descendre, et passe par un immense lit de rivière à sec au milieu duquel subsiste étonnament un ruisseau assez vigoureux. Il alimente une sorte d’oasis, une ancienne ferme piscicole reconvertie en parc. Je profite des jolis bassins d’eau limpide pour réparer mon matelas gonflable, qui s’est crevé pour la sixième fois depuis mon départ. Immerger le matelas dans l’eau permet de repérer le trou, grâce à son chapelet de bulles.
J’avais rencontré deux québécois à Big bear lake, Colin et Sandy. Je les retrouve sur le Trail et bivouaque avec eux un soir. Comme beaucoup des vrais South Bounders (SOBO) que je croise, ils sont très rapides et font de grosses journées. Grosse journée sur le PCT, ça veut dire minimum 55km quotidiens, de courtes pauses, et une journée de marche de 12h, qui démarre en général vers 5h30 et se finit au crépuscule. Ils font partie des premiers du groupe des SOBOs. Colin est diplômé de sciences politiques et attaché parlementaire auprès d’un député écologiste. Il a un regard affuté sur l’histoire, la politique et l’économie. Quel plaisir de parler en français et d’échanger en profondeur sur des sujets précis. Quel bonheur de découvrir de jeunes marcheurs ayant un regard différent sur le monde : très personnel, plein d’idéalisme mais aussi d’actions concrètes. Sandy complète à merveille le caractère plus introverti de Colin. Elle est vive, passionnée, joyeuse, enthousiaste. Malheureusement, ils vont un peu plus vite que moi et je les perds rapidement de vue, pour ne jamais les ratrapper. Leur excellent blog, bien à l’image de leur générosité, est : lenomadeecolo.com
Peu après, d’autres SOBOs me rattrapent, dont « smoke » et « kubo », au pied du Mont San Jacinto.
Cette montagne culmine à 10834 pieds, soit environ 3300m. Le PCT passe à côté, ça serait dommage de ne pas monter au sommet… facultatif, mais tentant. Le problème, c’est que la montée démarre à 320m d’altitude, dans un désert chaud et aride…qu’elle dure 40km…et qu’il n’y a pas d’eau entre le départ et le sommet. Malgré 5 mois de marche intense, je suis un peu tendu. 3000m de dénivelé positif d’une traite, c’est inédit. Il faut rester concentré : peu de monde derrière moi, pas d’échappatoire en cas de coup de chaleur, de fatigue, de blessure ou de déshydratation, et une inconnue sur le fait que la source du sommet coule toujours. Le dernier commentaire sur cette source n’est pas récent, ni enthousiaste. Je dois y arriver obligatoirement avant la nuit, d’autant plus que la source est délicate à repérer. J’embarque 5 litres, en comptant sur le fait de partir tôt (6h), et que les températures refroidissent avec l’altitude. 4 litres pour la marche, et 1 litre de sécurité.
Heureusement, tout se passe bien. La montée reste exigeante, sans répit. La température tombe légèrement à partir de 1500m, et les jambes encaissent bien avec mon rythme lent et régulier. Le désert de sable laisse place a un amoncèlement ahurissant de blocs de granit, puis un maquis de buisson bas.
Sans transition, le chemin débouche sur un plateau, couvert de pins et d’arbustes. Le haut du Mont ressemble fortement aux forêts de la Sierra Nevada, mais sans les rivières, les prairies, la neige et les lacs. Je fais de très courtes pauses, et me concentre pour garder un rythme lent, mais très régulier. Je me calque sur la technique des vieux montagnards, ou guides, les maîtres absolus dans la gestion de ce type d’effort.
Une fois arrivé en haut, 10h de marche plus tard, je passe une demi-heure à me ravitailler en eau. Quatre litres d’eau dans ce qu’il reste de la fameuse source : une petite flaque de 20cm, qui émerge à peine des graviers, entre deux blocs de granit. Le lendemain, il m’en faudra suffisamment pour redescendre à Idyllwild, sur un chemin toujours très sec. L’eau est pure et fraîche, mais je la filtre quand même. Elle est tellement difficile à atteindre que j’échappe de peu à la catastrophe, après une glissade incontrôlée sur un bloc en redescendant du pierrier. Fatigué, j’ai trop fait confiance au grip de mes semelles Vibram, irréprochable la plupart du temps.
Peu après, je finis par rejoindre le sommet et son petit refuge, après un sentier interminable. Je retrouve Smoke et Kubo qui sont déjà installés au bas des 2 lits superposés. Les lits occupent tout l’espace de cette cabane de pierre. Comme d’habitude dans les refuges, la nuit est mauvaise. Les jambes me font payer le traitement que je leur ai infligé, et le respect de mes colocataires m’impose de ne pas faire de bruit en cherchant une position optimale. J’ai également un léger mal de tête du à l’altitude, à la légère déshydratation et à l’effort violent. Je me contraint à reprendre un anti-douleur, comme le soir de mes premières journées, ou pendant ma récupération après mon ablation de la molaire. C’est tout simplement la seule solution pour trouver le sommeil. Les cellules des muscles ont entamé leur petit ballet, et s’activement pour réparer les micro-hémorragies musculaires et tendineuses.
La récompense le lendemain matin vient de la jolie vue du sommet, que quelques nuages denses viennent couvrir par vagues. Les villes, Palm Springs à l’est, ou Cabazon au Nord, s’étendent dans le plat du désert. Quelques premiers rayons de soleil s’allongent, vennant doucement réveiller ceux qui sont encore au lit. Les températures, hésitent à voir le positif.
La descente vers Idyllwild est sans histoire, le stress est retombé. A un détail près. Un incendie ferme l’accès à une portion du PCT. Mon objectif est de parcourir le maximum de chemin autorisé possible. Mais mon application n’est pas à jour, et je descend finalement sur un chemin en lacets fermé au public. L’incendie à ravagé la végétation sur plusieurs kilomètres, et je guette les arbres qui menacent de s’écrouler, le chemin qui s’effondre, et les éventuels rangers qui veillent. Pour le reste, la journée est facile : descente de 20 km vers la ville pour me repaître, et faire mes emplettes. Je prends tout mon temps. Dans le jargon, on appelle ça un « NERO » : un « NEar zeRO, soit un demi-jour de repos.
A Idylwild, J’accomplis mon rituel de thru-hiker avec discipline et patience : courses, lessive, restaurant, douche, camping. Je cherche un magasin pour acheter du gaz mais ne le trouve pas. Mais la ville est agréable, un peu hippie, et les gens charmants. A la lingerie, je discute avec un habitant qui revient d’un de ses nombreux voyages en Inde. A mon grand étonnement, lui aussi à visité la vallée du Spiti, à quelques encablures du Tibet. Cette région est si reculée que ce n’est pas courant de croiser des gens qui la connaissent, surtout ici.
Je reprendrais le Trail le lendemain vers Warner Springs, où je me suis envoyé une boîte de ravitaillement envoyée par la poste de Big Bear Lake. De nombreux feux de cette année et des précédentes vont m’obliger à sauter une partie du PCT. La route de contournement est trop dangereuse à pied, je vais donc me faire une joie de faire de l’auto-stop pour continuer le chemin.