Californie du Sud - Octobre

En solitaire dans le désert

Wrightwood, Big Bear Lake

Je repars de Wrightwood en début d’après-midi, raccompagné par Bob, mon Trail Angel, jusqu’au PCT. Le temps se lève légèrement, après cette matinée de pluie. Il reste assez frais.

J’ai fait le plein de podcasts, profitant de l’internet rapide. Pas mal d’interviews du monde de l’Internet, de la finance, de l’économie, du journalisme et de l’écologie vont occuper mes temps morts. Impatient, je les écoute dès le départ.

Je prête à peine attention à quelques chasseurs de daims. Ils se sont postés le long de la piste qui jouxte le PCT, déposés par de gros 4×4. Ils ont une chasuble fluo au dessus de leur tenue camouflage. Pas aimables les chasseurs. Rien à voir avec les randonneurs, bien plus prompts à la conversation. Je n’ai pas un enthousiasme particulier à aller me balader dans la trajectoire leurs fusils. J’espère seulement qu’ils ne me confondront pas avec un chevreuil. Devoir faire confiance au QI et à l’appréciation de ces têtes d’abrutis n’est pas une sentiment particulièrement relaxant. Je hâte le pas, espérant que la piste carrossable s’arrêtera bientôt. Car pas de piste, pas de chasseurs : peu mobiles, ils ne marchent jamais loin des accès routiers. Malheureusement, je me les tape jusqu’au soir.

Le lendemain est plus calme, déjà. Le temps est bien meilleur. Je redescends de la crête et traverse alternativement des forêts de pins, et des zones plus ouvertes couvertes de buissons et de végétation sèche et arbustes. Ce paysage dominera jusqu’à Big Bear, sans grandiloquence, mais très agréable. Les dénivelés se calment, je prends volontairement un rythme cool.

Après un passage le long d’un joli petit canyon, j’attends le lac de Silverwood. C’est une belle retenue d’eau qui tranche avec le beige du désert et le vert des pins. Puis replonge dans des canyons, ressort par de hauts plateaux recouverts de sable.

Je profite de la vue sur la plaine désertique au nord, où s’étendent quelques villes. En effet le PCT suit une chaîne de montagnes particulièrement étroite, serrée entre la plaine de Los Angeles et le désert, vers l’est. Dès que le sentier monte et se dresse sur les crêtes, peu de reliefs viennent obstruer la vue. Ici, la ligne de faille tellurique de l’ouest des États Unis est peu large, mais très marquée.

Je croise très peu de monde. Une ou deux personnes par jour. Les bivouacs sont solitaires. L’un d’entre eux est d’ailleurs très pénible. Toute la nuit, j’entends des bruits de pas dans les buissons environnants, de chaque côté de la tente. Impossible de voir quoique ce soit. Ce n’est pas un ours, les pas sont trop légers. Mais alors quoi ? Aucune idée. J’espère que c’est un coyote, ou un daim, mais pas un puma. A priori, ils sont très discrets. Ce que je sais, c’est que les animaux (sûrement 2) me tiendront compagnie toute la nuit. A plusieurs reprises, je braque ma lampe torche dans les taillis aux alentours. Ma nuit est tellement mauvaise que dès que le jour se lève, je décolle, un peu soulagé d’en finir. Je n’en peux plus de ces bruits intempestifs qui m’empêchent de trouver le sommeil. Je surprends peu après un coyote gris foncé qui s’enfuit en trottinant dans la vallée. Mon voisin de dortoir de cette nuit ?

Les journées, et soirées, je me laisse happer par mes podcasts. Ils sont intéressants, mais envahissants. Comme une drogue, ils prennent toute la place, apportent un plaisir immédiat et génèrent du vide, voire une anxiété après trop d’écoute. c’est du « binge listening ». Particulièrement si on les enchaîne, comme je le fais. On y apprend plein de choses très intéressantes, mais rien n’est choisi, hiérarchisé, digéré, pensé. Rien n’est construit. On subit. c’est de la réflexion passive. Le cerveau n’a pas le temps de construire naturellement les liaisons neuronales adéquates, les fameuses associations d’idées. A cause de cela, les journées passent vite, sans sentir la fatigue, ni le temps. Mais j’ai la désagréable sensation de passer à côté de mon expérience. Ma moyenne diminue, et je fais moins attention aux paysages, aux sons, aux odeurs, aux milles choses qui changent tout. Je prends moins de photos. Le PCT me file sous le nez. Au bout de près de cinq mois de marche, ce trail est long, souvent magnifique, parfois ennuyeux, toujours dur, mais ce n’est pas une raison pour le saborder, le gâcher. Je veux en profiter jusqu’à la fin, au maximum. Leçon retenue : après Big Bear, je m’imposerais un maximum de 2h par jour de podcast, l’après midi seulement.

Le fond de l’air reste assez frais pendant la journée. Entre 11h et 17h, le soleil chauffe suffisamment pour éviter la polaire. Mais en dehors de cette intervalle, il fait franchement frais, la nuit particulièrement. J’ai les mains régulièrement gelées, les pieds aussi, du givre sur la tente et dors avec ma doudoune sous mon duvet. Mais ce froid est sec, et ne dure pas : rien à voir avec le Washington.

Le chemin parcourt à nouveau un joli canyon, ponctué de sources chaudes. Puis je longe la crête qui surplombe Big Bear Lake, une ville qui vit du tourisme de son lac et stations de ski environnantes. Arrivé à la route d’accès à la ville, un automobiliste finit par me prendre gentiment en stop, attend que je récupère mon colis à la poste, et me dépose au supermarché. J’ai l’après midi pour faire mes courses et essayer de me reposer un peu. Prochaine étape, Idyllwild.

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