Baromètre capricieux
La météo tient ses promesses. A 5h du matin, la chaleur est déjà là. La veille, j’ai eu le plaisir de rencontrer deux shvilistes Israéliens. Les deux ont des directions opposées mais campent avec moi, sur les pelouses du petit parc municipal de Sapir.
Je pars avec Nave, qui se dirige vers le nord comme moi. Mes appréhensions face à la chaleur s’atténuent un peu, en sa compagnie sur la prochaine étape. Alors qu’à 10h à peine, le thermomètre affiche déjà 35 degrés, je me dis que j’ai bien fait d’avoir un camarade de souffrance, en cas de trou d’air.
Nave a 26 ans, parle un anglais parfait et pense démarrer des études dans le développement durable après ses 3 ans d’armée obligatoires. Il est à l’image de beaucoup de jeunes israéliens que j’ai croisé dans ma vie, s’il faut sacrifier au principe des stéréotypes : sympa, accessible, ouvert, malin, direct voire un peu brutal. Il envisage une d’étape de 35 km aujourd’hui. Il embarque 9 litres d’eau dans un sac à dos qui me parait énorme pour la randonnée de 3 jours qu’il s’est fixé.
Pour ma part, je compte m’arrêter après 20 km, au premier des 5 camps ou je pourrais retrouver de l’eau dissimulée dans une cachette aménagée par un guide local, comme service aux randonneurs. A paris, après l’avoir payé, j’avais reçu le point GPS et la petite vidéo exacte pour rejoindre la planque. J’ai donc à disposition toute l’eau dont je pourrais avoir besoin pour la nuit ou le lendemain. La chaleur étant accablante, le but est d’arriver au bivouac avant qu’elle soit à son paroxysme, entre 13h et 16h : 36 degrés, jusqu’à 39 degrés sont prévus.
Nous cheminons à travers de superbes canyons et des hauts plateaux désolés, sur lesquels rien ne pousse. Dans les lits de rivières à sec, au contraire, fleurit une belle diversité de fleurs.
Le début de l’étape est très agréable. Rapidement, cela se corse et il devient nécessaire de faire des pauses régulières. Je me cale sur les pauses de Nave. Après une petite montée, nous redescendons au creux du canyon qui abrite le camp. Une route l’emprunte et quelques véhicules soulèvent de la poussière à l’horizon. Alors qu’on se disait qu’il était bien d’être à deux sur une telle section pendant la pause précédente, Nave décide de demander aux 4×4 de le prendre en stop jusqu’à l’objectif ! Je lui réponds spontanément que je marche jusqu’au bout, ne souhaitant pas couper le fil de mon projet avec des moyens motorisés. Je suis bon pour terminer l’étape en pleine fournaise, mon ombrelle déployée au dessus de la tète, alors qu’il se prélasse dans le 4×4 climatisé qu’il est parvenu à arrêter après avoir sprinté jusqu’à la route.
Je le retrouve au bord d’une petite vasque pleine d’eau verte douteuse, surplombée par une immense et magnifique paroi en cirque, dans laquelle de nombreuses familles (et leurs chiens) ont décidé de venir rafraichir. J’ai des réticences à m’immerger dans ce bouillon de culture, fusse-t-il dans le pays qui inventa le baptême. Mes réserves ne tiennent pas longtemps, alors qu’à ma montre, la température atteint 38 degrés et que mon crâne, même a l’ombre, joue les cocottes minutes. L’eau à 23 degrés paraît glaciale, et est un moindre mal : plutôt l’infection que l’hyperthermie !
A 16h, après avoir vainement cherché une voiture pour l’emmener vers le sud, Nave se remet en route et attaque, par 36 degrés le chemin dans la falaise qui constitue la suite du shvil. Sagement, je reste tranquille l’après-midi, pas non plus fâché de quitter ce camarade avec qui le courant passait finalement à moitié.
Deux familles très généreuses insistent pour m’offrir de l’eau glacée, des chips, et une espèce d’omelette à la farine et aux oignons, le matzo brei, et qui apparement, est un plat typique des fêtes. C’est très bon, même si par cette chaleur, c’est un peu gras !
Ce soir, je ne dormirais pas seul, alors que les 4×4 affluent pour décharger leur matériel de camping rutilant et libérer leurs marmots après des heures de piste. Ces barbecues familiaux sont joyeux, les israéliens profitent à fond de la chance qu’ils ont de pouvoir dormir gratuitement dans le désert. Les insectes de toutes sortes ne me lâchent pas, des petites mouches en particulier, qui ont la fâcheuse manie de piquer. Je me retranche alors dans ma tente (qui possède une moustiquaire) pour trouver un peu de repos, alors que le soleil disparaît enfin derrière les nuages.
A ma grande déception, la chaleur ne descend pas pendant la nuit, contrairement aux prévisions. Je guette le thermomètre toute la nuit et le sens groggy. Mais le matin est un peu plus clément, à la faveur d’une légère brise. J’escalade les parois qui me séparent de la caldera (makhtesh en hébreu) de Ramon, nommée ainsi d’après le premier astronaute Israélien, Ilan Ramon.
Le paysage est caractéristique des cratères de volcans, aux couleurs bariolées de noir et de rouge, à l’aspect lunaire et aux dimensions impressionnantes. C’est une gigantesque cuvette ovoïde, cernée de hautes falaises.
Ce cratère a connu plusieurs éruptions, immersions sous la mer, dépôts de limons, plissements tectoniques. Il en résulte donc une diversité géologique étonnante. Le chemin croisé des fossiles d’ammonites, sortes de gros nautiles tombés autrefois au fond de l’océan, se retrouvent à l’air libre, emprisonnés dans la pierre.
Un petit musée installé au bord de la falaise à Mitzpe Ramon, décrit cette anomalie géologique, ainsi que la faune qui occupe les lieux. Il revient aussi sur la carrière d’Ilan Ramon. Il se trouve qu’Ilan Ramon est malheureusement mort dans l’accident de la navette Columbia de 2003.
Le reportage que l’on visionne ne parle pas des circonstances de l’accident, qui sont particulièrement intéressantes. La navette, quand elle rentre dans l’atmosphère, chauffe énormément. Elle dispose donc de protections en graphite et carbone pour éviter que la structure des ailes en aluminium ne fonde et que le vaisseau se désintègre. Or au lancement de la navette, cette protection a été endommagée par une plaque d’isolation qui s’est détaché de la paroi du lanceur, et est venu percuter l’aile, faisant sauter la protection et générant l’accident lors du retour. On apprend en ligne (https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Accident_de_la_navette_spatiale_Columbia) que les pertes de plaques isolantes étaient tellement courantes sur les vols précédents qu’elles n’étaient même plus corrigées, banalisées. Le problème a perduré sur plusieurs lancements (7 avec le dernier accident) alors qu’il avait déjà été parfaitement identifié et mentionné comme critique par plusieurs spécialistes. De plus, aucune inspection en orbite n’a été faite par l’équipage, alors que la tuile endommagée aurait été facilement détectée. Cette opération a été considérée comme non prioritaire et de toute façon inutile, car l’équipage n’était théoriquement pas en mesure de faire les réparations lui-même (même si l’on sait que sous contrainte absolue, l’être humain sait être créatif)
Cette petite parenthèse pour dire que malgré le prestige de l’institution (la NASA) et la qualité des gens qui y travaillent, il persiste toujours des erreurs humaines qui paraissent édifiantes à ce niveau. Quand le process est trop complexe, que la bureaucratie gouverne, que les couches de hiérarchie sont trop nombreuses et que les gens ne sont pas concernés au premier chef par ce qu’ils font, le bon sens disparaît. Cet événement dramatique me rappelle beaucoup de situations vécues en entreprise ou visibles en politique actuellement.
En ce qui concerne la faune, le petit reportage est passionnant, et j’y observe la palanquée d’animaux nocturnes dont je ne perçois que les traces pendant la journée : rapaces, loups, renards, ânes, ibex, gazelles, serpents, scorpions, lézards, caracals (sorte de lynx), oryx, chouettes, hérissons, porcs-épics, rats, etc. Pendant la journée, il n’y a que la merveille de diversité de petits oiseaux que l’on puisse observer. Tous les matins, ils donnent un concert qui me rappellent les forêts néo-zélandaises (c’est peu dire). La vigueur et la diversité est paradoxalement à son paroxysme dans les zones anthropiques : parcs, kibboutz, où les oiseaux jouissent d’arbres et de nourriture qui se fait plus rare dans le désert.
Je poursuis mon chemin vers le but de la journée, ambitieux : Mitzpe Ramon. J’y ai réservé une nuit d’hôtel. Le temps est annoncé à l’orage, le soir. Cette chaleur des derniers jours m’a coupé l’appétit et m’a vidé d’une partie de mes forces physiques et mentales. J’ai quelques vertiges. J’ai sûrement besoin de repos et d’aliments sains, de sels minéraux en particulier. La difficulté de s’approvisionner correctement depuis plusieurs jours est aussi en cause.
Les bourrasques fouettent le sable, des petites tornades virevoltent. Les nuages succèdent au soleil et font varier la température de 20 à 30 degrés instantanément, et inversement. Un énorme cumulonimbus menace, au sud. Le chemin coupe la route qui mène à Mitzpe Ramon. Je ne me sens pas de marcher 3h de plus sous un déluge glacé, avec en prime des risques d’inondations et de torrents délicats à traverser. Je décide donc de faire du stop pour rejoindre l’hôtel, et procrastiner cette section.
Je n’attends heureusement pas longtemps. Un jeune céramiste, Eli, nuque longue majestueuse, bagouzes ornementales et piercing nasal proéminent, m’embarque dans une voiture qui s’apparente à un taudis roulant. Cela me fait sourire. Il conduit sa petite Daihatsu automatique hors d’âge comme un yogi : un pied nu sur le siège, le genou au dessus du volant, un pied sur l’accélérateur. Son jeune chien dégoulinant de douceur vient s’installer sans façon sur mes genoux. L’irrévérence d’Eli à la bienséance hygiéniste de la société actuelle me ravit. Quand on ne considère plus le matériel, on se resserre autour de l’essentiel, c’est mathématique. Certes, Eli semble un peu dans l’excès. Mais il est simple et spontané. Bizarrement, ce ne sont jamais les SUV rutilants qui s’arrêtent pour me prendre en stop. Près de Zukim, j’ai passé plus d’une heure à tendre le pouce, par 35 degrés, vers des véhicules clinquants (les israéliens aiment leurs voitures, surtout les énormes 4×4 américains) se précipiter vers Eilat. Alors que je jetais l’éponge pour revenir à mon point de départ à pied (9 km quand même), un jeune couple adorable s’est miraculeusement arrêté pour m’emmener.
Avant d’arriver en ville, Eli me propose de nous arrêter m’offrir un dessert local, un malabi, dans une gargote au bord de la route. Il parle parfaitement français (ses deux parents en sont originaires), l’allemand, l’anglais. Il y a non loin une petit marre ou son chien pourra se rafraîchir. Mais rapidement, l’orage crache ses premières grosses gouttes. La foule court vers les voitures. Eli me dépose généreusement à mon hôtel, et j’y reste cloîtré pour le reste de l’après-midi, la migraine tenace, groggy.
L’auberge est atrocement bruyante. Des familles aux enfants mal élevés (il me semble qu’ici, plus qu’ailleurs ou j’ai jamais été, l’enfant soit roi) occupent les grandes tables de la pièce principale. Ils ne daignent se taire qu’a 22h, l’heure légale demandée par la direction. Les lits ont le malheur d’occuper la mezzanine qui domine la salle principale, sans cloison. Peu importe, les bouchons d’oreille et mon épuisement ont raison du vacarme. Une odeur de cuisine forte à base d’huile de friture vient chatouiller ma narine. J’hésite entre l’appétit ou la nausée. Je somnole avec bonheur sous la symphonie des gouttes qui martèlent la tôle métallique du toit de cet ancien entrepôt. L’auberge de jeunesse n’est pas chère, mais relativement propre. Elle constituerait un cauchemar absolu pour un inspecteur des normes techniques (accès, électricité, plomberie, incendie), tellement elle est bricolée et loin du compte. Mais l’essentiel est là : on s’y sent bien.
Le temps est meilleur, même si une nappe de brouillard bruinant enserre la ville. Je décide de marcher la petite section que j’ai escamotée la veille. Malheureusement, la route qui y mène est bloquée par la police. Une coulée de boue l’a bloquée, la veille. Je me résigne à transformer cette déconvenue en avantage : je vais pouvoir me reposer davantage et faire un peu de tourisme.
Le ravitaillement, en cette semaine de fêtes, est toujours désespérant. Beaucoup de magasins sont fermés et pour ceux qui sont ouverts, l’offre est très limitée à des produits industriels tous plus repoussants et indigents les uns que les autres. Je réunis néanmoins avec peine le minimum vital pour deux jours d’autonomie le long des versants ouest du cratère, là ou le chemin s’en va.
Heureusement, je peux me retrancher dans le havre protecteur (mais bruyant, lui aussi) d’un petit café dans le quartier industriel gentrifié de mon quartier, à deux pas de l’hôtel, le café Gina. Bon café, excellente nourriture fraîche, végétarienne et de saison, ambiance décontractée. De quoi reprendre quelques couleurs avant de finir cette satanée section ratée, puis de reprendre la route vers le nord.
Côté météo, on a perdu 25 degrés en 24 heures, passant de 35 à 10 degrés. Au moins 2 morts sont à déplorer, emportés par les flots dans leurs véhicules, alors qu’ils tentaient de traverser des torrents. Les sauveteurs ont du procéder à 70 interventions. Que cela soit des inondations ou la chaleur, les gens n’ont jamais vu ça … quelque chose serait-il détraqué ? Le lendemain, les orages reprennent, et la route menant au cratère est toujours bloquée, rendant mon excursion impossible. Le sort s’acharne.
Dans mon errance, j’ai des discussions agréables avec plusieurs personnes de l’auberge ou du café. Des français en vacances avec leur quatre filles espiègles, curieuses de tout. Une famille israélienne croisée sur le chemin, avec leur 2 enfants, a fui les inondations in-extremis, subissant la grêle, les chemins transformés en torrents, les camps inondés. Elle m’invite dormir chez elle quand je serais vers Netanya, près de Tel Aviv.
Demain, quoi qu’il arrive, je hisse les voiles. J’ai perdu trop de temps ici, même si cet intermède m’a bien requinqué et a été riche en belles rencontres.
Un commentaire
godefroy
Merci pour les nouvelles et courage pr la chaleur!!