INT,  récit

Vers la mer Morte

Parc de Mitzpe Ramon, après les orages

Après deux jours de pause, je suis pressé de quitter Mitzpe Ramon, hypnotisé par la drogue de l’itinérance. J’ai une petite dette envers le chemin : je dois parcourir à pied la partie que j’avais escamotée, juste avant d’arriver à Mitzpe Ramon, en anticipant l’orage et faisant du stop. Me voici donc aux portes de la ville, espérant attraper une voiture pour me ramener à mon point de sortie du chemin. Le sort s’acharne, la route vers le sud (la seule possible) est toujours fermée. Je décide de passer outre le barrage (c’est possible, à pied) et descends sur la route déserte. J’espère secrètement qu’un riverain qui sera passé au travers du filtre policier veuille bien me prendre en stop. En effet, le ruban d’asphalte s’étire et m’intimide.

La route de Mitzpe Ramon

Ma chance est là, une employée du camp à côté duquel j’avais interrompu le chemin me ramène exactement à l’endroit indiqué ! Heureux de ce retournement de situation, j’avale la portion qui me sépare de Mitzpe Ramon dans un relatif détachement : elle n’a pas d’intérêt particulier, à part celui de rester droit dans mes bottes d’une éthique toute personnelle de la longue distance ou nul kilomètre possible n’est escamoté.

Vers 10h, je suis de nouveau dans la ville, et enchaîne sans ménagement la section suivante, le long de la falaise du cratère. Je m’extirpe avec bonheur de la glue de cette ville qui m’a cependant requinqué. L’orage est oublié, quelques nuages couvrent le ciel. Mais il fait toujours frais, un peu au dessus de 10 degrés. Je marche avec un haut en laine mérino et un coupe vent. Je suis une piste de 4×4, qui a l’avantage de me faire couvrir facilement de la distance, mais l’inconvénient d’être assez monotone. Peut-être est-ce le livre audio parlant des innombrables processus de corruption dans la politique française, Macron en particulier, qui me mine le moral ? L’humain est parfois désespérant.

Vue sur la Caldera
Mini-Spontex

Au moins, j’avance. En fin de journée, le chemin se faufile dans un canyon superbe, désert, sauvage, pour en ressortir peu après, au lieu dit du camp. Ce soir, j’ai des voisins. 3 jeunes shvilistes et un groupe de garçons qui font un week-end de camping en 4×4. Je dîne avec mes compagnons de chemin, et sympathise avec Nadav, qui trimballe sa guitare sèche, sa gentillesse, ses yeux malicieux et son enthousiasme communicatif. Par contraste, les deux autres filles qui nous retrouvent au dîner me paraissent distantes, fermées, ternes. Nadav a fait un feu, mais je prends rapidement congé, lassé de la conversation en hébreu à laquelle je ne comprends rien, de la fumée qui me brûle les yeux, et harassé de la journée où j’ai finalement parcouru plus de 40 km.

Parcours accidenté
Un peu de grimpette

J’ai encore quelques vertiges, hérités des chaleurs Sapiriennes. Je me dépêche pour rejoindre Midreshet Ben Gourion, une petite ville où je vais pouvoir ravitailler. Malheureusement, je quitte le bivouac trop tard et n’arrive pas suffisamment tôt pour accéder au supermarché.

L’oasis au milieu du désert (Nahal Akkav)

Les jours de Shabbat, le vendredi, les commerces ferment à 14h. Je me replie à regrets sur la triste station-service, dans laquelle je retrouve un assortiment pauvre qui me pousse à des trésors d’inventivité pour composer les 4 jours de repas nécessaires. Le temps de recharger mes batteries, je suis déjà reparti vers le camp en dehors de la ville, à 8 km de là. J’y retrouve les 4×4 habituels des familles venues camper, mais aussi d’autres randonneurs, qui se font de plus en plus nombreux. Après les fêtes de Pâques passées en famille, ils sont nombreux à être de retour sur le chemin, vers le nord ou le sud. Un ranger me dépasse en voiture, et me demande d’un air suspicieux où je compte camper. Il propose finalement de m’y déposer, ce que j’accepte de bonne grâce : je marchais une étape de liaison vers le sentier officiel, et je gagne un kilomètre d’effort.

Nahal Tzin

Dans la nuit, un petit vent glacé se lève, et se glisse sous le toit de la tente mono paroi. Dans mon sommeil, je n’y prête pas trop attention, mais le temps de me couvrir le cou, il est trop tard : j’ai déjà pris froid ! Je me connais, et en général, je pars pour un bon rhume après ce petit déclencheur. La température est difficile à lire, ici. Les prévisions ne correspondent pas aux conditions vécues. Un 28 degrés annoncé sera ressenti à 35, à 13h et en plein soleil, sans vent. L’après-midi, la chaleur est longuement irradiée par le sol. Même à l’ombre, c’est pesant. Le vent est le plus souvent absent, mais il se lève souvent au crépuscule, pour finalement tomber pendant la nuit. La météo n’est absolument pas fiable sur ce critère. Certaines nuit sont fraîches, d’autres pas.

Descente périlleuse dans le Nahal Tzin

Je repars avec un point dans la gorge, qui n’annonce rien de bon, mais garde l’ambition inavouée de boucler deux étapes dans la même journée. Une bizarrerie du parcours et du guide qui l’accompagne propose une étape de plat de 15 km, sans intérêt, suivie d’une section de 18 km de massif rocheux beaucoup plus intéressante : le Mont Karbolet. Je suis à la deuxième étape à 9h30. Soit je reste la journée en plein désert à rôtir au soleil, soit j’enquille.

Mont Karbolet

« La question est vite répondue », c’est parti pour l’escalade (le mot n’est pas trop fort) du canyon qui me conduit au Mont Karbolet. Je dois ranger les bâtons sur le sac pour grimper certains ressauts en sécurité. Le point dans la gorge se transforme rapidement en rhume et en fièvre, et par 35 degrés, je me force pour ralentir et manger quelque chose. Je me sens bien faiblard, alors que la température me liquéfie, déjà.

Grimpette sur le Mont Karbolet

Après un raid en solo dans les blocs énormes qui obstruent une montée relativement délicate et lente, je croise d’autres shvilistes qui s’octroient une pause immergée dans une cuvette d’eau de pluie verte. Leur présence me change un peu les idées, qui me sont à cette heure déjà un peu floues. Ce sont les premiers randonneurs que je croise aujourd’hui. Ils suivent aussi le shvil vers le nord. Je poursuis sur le Mont Karbolet, que l’on parcourt comme sur le dos d’une baleine : sur l’arête de la crête, comme une gigantesque colonne vertébrale. Il n’y a plus de chemin, simplement des pans de roche déversants. Cela me rappelle le GR20, tant le plat est absent. Le spectacle est grandiose, car le mont domine à l’est une autre caldera, aux ocres, rouges, violets, gris caractéristiques. De l’autre côté, s’étend le désert, voilé par une brume de chaleur qui ne laisse pas de doute sur la pesanteur de l’atmosphère.

Mont Karbolet

La chaleur devient insupportable vers 13h, bien au-delà de 35 degrés, malgré ce qui était annoncé. Je me réfugie plusieurs fois à l’ombre pour faire refroidir la machine. Je fais comme la faune locale et me réfugie dans un recoin de caillou, sous la crête, au bord du précipice. Je le quitte néanmoins rapidement pour éviter que le vertige et l’ennui ne me gagne, vers 15h.

J’ai encore du chemin, traverse le haut plateau et redescends peu après dans un n-ième canyon à sec, où je trouve une petite grotte pour m’abriter de la chaleur déjà accablante, à son maximum entre 12h et 16h.

Je m’habitue lentement à la marche dans le désert, sa relative monotonie. Mais la fin de cette étape ne vient jamais. Elle n’en finit plus, avec des coups de théâtre, ses faux cols, ses montées surprise. Le chemin ne fait que descendre puis remonter, au gré des reliefs capricieux. J’ai eu les yeux plus gros que les jambes aujourd’hui. A force d’abnégation, j’atteins le camp visé, près de la mine de phosphates d’Oron, en fin d’après midi, rincé. Ce camp n’est pas pittoresque, mais a le mérite de fournir de l’eau fraîche, des prises pour recharger mes chinoiseries électroniques, et quelques tables de pique-nique, jetées sur un terrain vague soufflé par de fortes rafales venues de l’ouest.

La mine de phosphates d’Oron

Aujourd’hui, la douzaine de shvilistes que j’ai croisé et dépassé arrivent avant la tombée du jour, vers 19h. Je suis assez content de retrouver des camarades de jeu, cet esprit communautaire qui reigne sur les chemins de grande randonnée du monde, le PCT en particulier. La différence de langue et de génération est prégnante : la grande majorité des marcheurs ont la vingtaine, viennent de finir leur 3 ou 2 ans de service militaire obligatoire (hommes ou femmes), et sont israéliens. Les seuls étrangers que j’ai brièvement croisé sont un estonien, un letton, Medard, et un slovaque, Martin. Mes camarades commandent des pizzas, et le proposent gentiment d’en commander une pour moi. Je saute sur l’occasion. Malheureusement, elle arrive tard, et froide ! Mais, je ne la regrette pas. Elle est si grosse que je ne mange que la moitié, et embarque le reste dans mon sac. Cela améliorera l’ordinaire de mes pauvres provisions de la station service.

Ce contingent de marcheurs forme une petite troupe qui se croise et se décroise, au gré des pauses et des bivouacs. Le lendemain, j’en rencontrerai encore plus. Le soir venu, au camp, les effectifs s’inversent : que des shvilistes, et plus un seul 4×4. Dans le jargon, on appelle une « bulle » l’essentiel des randonneurs qui parcourent un chemin de longue distance. Il semble que j’ai rattrapée la dernière bulle de la saison, à la faveur de la semaine pascale où ils ont tous pris quelques jours de pause en famille.

Les questions systématiques que l’on me pose sont :

  • Comment vais-je ?
  • Comment je connais le chemin ?
  • D’où je viens ? Ou j’habite ?
  • Est-ce que je fais le chemin en entier ?
  • Quand est-ce que je suis parti ?
  • Combien je fais de kilomètres par jour ?
  • Quel âge j’ai ?
  • Parfois : quel est mon métier ?

Les jeunes Israëliens sont sympas, curieux, et n’hésitent pas à m’aider, surtout dans la mesure où il y a peu d’étrangers. Ils parlent en général bien anglais, cela facilite considérablement les échanges. Ils marchent la plupart du temps en groupe. La gente masculine est sur-représentée.

Au niveau des sensations et du moral, la journée qui suit le bivouac près de l’usine de phosphates est la pire de cette aventure. Les camions n’ont pas arrêté leur va-et-vient de toute la nuit, venant charger leur cargaison. Mes camarades se sont couchés tard, et parlent très fort. Les effets de mon rhume sont à leur maximum, avec une fièvre à son maximum au moment de me coucher. Je me bourre de cachets, et n’ai même pas la force de mettre mes bouchons d’oreille. Grave erreur. Je dors très mal. Je pars le dernier, à 9h (ce qui correspond à une grasse matinée). Je me traîne sur les 20 km, heureusement relativement faciles, qui me séparent du prochain camp dans une torpeur et un mal-être profond. A 12h et 17h, je dois reprendre des cachets, à regrets, pour refaire tomber la fièvre. Marcher sous paracetamol, c’est comme se doper : les signaux du corps sont gommés, et il y a un risque de blessure à terme (ce qui ne loupera pas, d’ailleurs). A 14h, je n’arrive plus à avancer, et trouve refuge sous un arbre, puis à l’ombre d’un bloc de roche.

Seule lumière positive à ce tableau navrant, le livre audio me narrant le chef d’œuvre de Jack London : Martin Eden, lu avec une grande subtilité par Denis Podalydès. Je comprends pourquoi beaucoup considèrent cet ouvrage comme un grand classique, tant la force, la subtilité, la psychologie et la beauté peuplent ce roman. Quelle puissance ! Il y a néanmoins quelques longueurs, et un certain romantisme sirupeux, une naïveté qui ne m’affectent pas trop : je n’ai rien d’autre à faire qu’écouter et marcher !

Descente ultime et raide du Mont Karbolet
Atzera Crater

Vers 17h, je repars enfin pour couvrir les 5 km relativement plats qui me séparent du camp. Je pensais n’en jamais venir à bout. Je suis pourtant le premier arrivé. Tous mes camarades me rejoignent et investissent le gigantesque lieu de bivouac. Pour ma part, je n’engage pas la conversation et me concentre sur l’essentiel : une tente bien arrimée, mes bouteilles remplies à la base militaire non loin, des nouilles chinoises, et un bon lit. Demain, l’étape est ambitieuse.

Descente dans l’Atzera Crater

Je ne suis pas le seul à vouloir partir tôt. Mes voisins font sonner leur réveil à 5h30. À 6h15, je démarre, alors que la moitié du camp est déjà parti. Je les retrouve au bord du petit cratère, le petit jumeau de celui de Ramon, à regarder le soleil se lever dans les brumes de l’aube. J’empoigne les rampes et divers marchepieds métalliques fichés dans une paroi presque verticale par endroits. Le chemin tombe littéralement dans la caldera. Plus loin, après une longue traversée plate et fascinante vers l’autre extrémité du volcan, où je devrais ressortir. J’appréhende la montée en plein soleil, la chaleur. Alors, je me hâte. La grimpette est courte mais difficile, environ 500 m de dénivelé bien raides et brûlants. La chaleur est déjà prégnante, à 10h du matin. Je monte lentement, régulièrement, et suis content d’en avoir fini. Je suis loin devant les autres, que j’aperçois en partie entamer l’assaut de la falaise.

Remontée de l’autre côté de l’Atzera Crater

Je peine à m’habituer au rythme imposé par le soleil. Rester des heures à ne rien faire à l’ombre du rocher ou d’un acacia sont une encore une punition pour moi, privé de mouvement, du défilement du paysage, de l’atteinte de mon but. Mais je dois m’y résoudre. Laisser le temps filer sans essayer de courir derrière comme un dératé. Je suis drogué a l’action, j’ai une phobie inconsciente de l’ennui. Je dois réapprendre à méditer, à faire la paix avec le silence, la sérénité, la lenteur. Savoir contempler les petits riens. Pas si facile : je suis toujours tendu vers un objectif arbitraire. Je devrais plutôt faire la paix avec l’absurde, le tangible, le maintenant, les sensations : la vérité. Il faut que je relise qu’est Albert Camus pour mieux m’imprégner de son génie. C’est le philosophe dont je me sens le plus proche.

Les chaleurs sont malheureusement annoncées en hausse pour les deux prochains jours. Je devrais suivre la même stratégie, au dépends de ma moyenne kilométrique, mais au bénéfice de mon stoïcisme.

Je suis désormais en vue de la mer morte, qui miroite au loin, comme un mirage. C’est une étape importante de ce voyage qui se matérialise. Plus loin, de l’autre côté de cette eau, j’aperçois distinctement la Jordanie et son immense barrière montagneuse. Des cumulonimbus de fin d’après-midi s’amoncellent au-dessus du relief, et de nombreux orages éclatent, animant les nuées de décharges stroboscopiques. Côté israélien, nulle montagne assez haute pour stopper l’humidité : le temps est clair, la nuit d’encre, ponctuée de belles étoiles brillantes.

Le parcours le long de la mer Morte, dans le désert dit désormais de « Judée », présente une anomalie géographique : il descend franchement en-dessous du niveau de la mer, à près de 400 m. En montagne, les mètres arrachés à la gravité procurent un air plus frais qu’en vallée. Ici, c’est le contraire, une petite bassine où marine un bon 37 degrés de climat caniculaire quotidien. Les mois d’été les plus chauds, cela peut dépasser les 43 degrés. Vivement que je sois sorti de cette nasse.

Extrait de profil topographique de mon application de navigation : descente dans le cratère.

Alors que je compte les heures, reclus sous mon acacia au bord du chemin, une minable brise faillit lamentablement à me rafraîchir. Elle n’empêche pas les mouches et les fourmis de me harceler sans arrêt. Il ne manque plus que les scorpions et les serpents, mais je n’en ai pas vu l’ombre. J’essaye de me réfugier sous ma tente, plantée à la hâte sous un arbre : c’est encore pire. L’effet de serre est une réalité tangible et immédiate.

Acacia refuge

Je finis par repartir vers 16h, quand le soleil frappe la terre à l’oblique, et que le sol n’irradie plus l’air de ses infra-rouges dévastateurs. Il fait encore chaud, mais je me traîne en relative sécurité jusqu’au camp d’Amiaz, où je vais planter la tente, assailli par les mouches et les moustiques qui ne me laissent plus respirer. Je n’ai pas emporté mon petit filet d’apiculteur, le « head net », pour se protéger le visage : je le regrette ! Je suis contraint de cuisiner et dîner à l’intérieur de mon abri. Je plains mes compères de shvil qui dorment toutes les nuits à la belle étoile (ils ne portent souvent pas de tente). La nuit est calme, douce, je ne partage le bivouac qu’avec deux autres personnes et leur voiture. Mon rhume carabiné vit heureusement ses dernières heures. Je suis simplement gêné par une toux résiduelle, qui me tient éveillé une partie de la soirée. Mais je n’ai plus de fièvre. Il est rare que je tombe malade en randonnée, tant cette activité a le mérite de renforcer les défenses naturelles. Et même si la maladie survient, elle dure bien moins longtemps qu’en contexte sédentaire.

Quelques zones sont louches

Je repars le lendemain de bonne heure, pour fuir la chaleur. Heureusement, l’étape est courte et je rejoins rapidement les rives de la mer Morte à Neve Zoar, vers 9h. Le chemin parcourt un petit canyon creusé par les précipitations, dans les sédiments blanchis d’un ancien lac asséché.

Nahal Pratzim
Mouvements telluriques et figures libres
Descente dans le Nahal Pratzim

Arrivé en ville, je peux profiter d’un bon petit-déjeuner avec un jeune camarade de randonnée, et d’une baignade dans cette mer morte où l’on s’amuse à flotter comme un ballon. J’en oublie les hordes de touristes venus profiter de cette petite attraction à l’ombre des barres de béton climatisées. Les maires nageurs surveillent les foules de près : faire ce métier ici serait-il le comble de la planque, la défaite absolue du sentiment d’utilité que l’on peut avoir dans son métier ? Je plaisante, mais la forte proportion de personnes âgées, la chaleur, doit justifier de nombreuses interventions tout autres et aussi importantes que les improbables noyades dans cette eau sirupeuse ou rien ne pénètre.

Le ravitaillement est décidément toujours aussi indigent, ici aussi. La malbouffe règne dans les quelques supérettes poussiéreuses mal achalandées, qui me fait percevoir la chance inouïe de l’offre extrêmement riche et variée que nous avons en France.

Côté santé, un pépin chasse l’autre : une douleur au talon d’Achille m’inquiète. C’est l’endroit à risque, où j’ai régulièrement des tendinites, dont dernièrement, à la fin de mon équipée trans-pyrénéenne. Vais-je payer les excès des étapes passées ? Je me réfugie dans ma chambre d’hôtel, non loin, pour ne plus y penser et apprécier, une fois n’est pas coutume, l’air conditionné, alors que dehors, les écrans de la station balnéaire indiquent 40 degrés à l’ombre.

Thalassothérapie à Ein Bokek

Le lendemain matin, je pars rejoindre le campement installé au pied de la fabuleuse forteresse de Masada, à une vingtaine de kilomètres. Ma cheville ne se fait pas trop remarquer, et le temps permet de cheminer aux alentours de midi sans trop souffrir de la chaleur. Je dérange un troupeau d’ibex, qui galopent sans façon dans les dévers atrocement prononcés, sur les contreforts de la citadelle.

En ruines aujourd’hui, elle fut prise difficilement par les romains aux derniers rebelles juifs qui l’occupaient, en désespoir de cause. Elle est érigée sur un impressionnant piton rocheux, aplati au sommet, qui domine la mer Morte et verrouille l’étroit corridor qui remonte de la mer Rouge, le long de la faille sismique séparant aujourd’hui Israël et Jordanie. Les romains ont réussi à la prendre en l’attaquant par son point faible, ou la loi l’érosion a fait son œuvre et la pente est moins prononcée.

Bassins d’évaporation sur la mer morte

Le château, à la fois fortifié et palais d’apparat, fut contrôlée et modifiée par des générations de peuples pendant des milliers d’années. En particulier, les peuples ont développé une capacité à stocker l’eau dans d’immenses citernes enterrées, alimentées par d’astucieux canaux parcourant la montagne, ainsi que des vivres et des armes. De nombreux bassins, piscines, thermes, furent construits, détruits, et aujourd’hui partiellement restaurés. J’attrape des bribes d’explications auprès des guides menant Français, américains, chinois, israéliens, à travers les fascinantes installations.

Citadelle de Masada
Vue de la citadelle sur la mer morte
Les entrepôts
Maquette du palais nord
Restes du palais Nord
Sauna
Thermes
Citerne Sud de la citadelle. De quoi tenir un siège.

Après avoir visité la citadelle, je choisis de repartir par une alternative au chemin, plus longue que le chemin officiel, à l’intérieur du majestueux Nahal (canyon) Zfira. Le parcours est encombré de blocs et la marche est lente, pour finalement tomber sur une sorte de cul-de-sac, dont les marquages ne correspondent pas à mes cartes. Le couple auprès duquel je tente de me renseigner me préconise de faire demi-tour et de ressortir du canyon par un autre chemin. A posteriori, je pense que c’est une d’erreur : j’aurais pu retrouver mon chemin vers l’ouest, un peu plus loin. Il est déjà 16h et il me reste bien 10 km pour rejoindre le camp. Mon eau est déjà bien entamée. Pour ne pas prendre de risque, je ressors du canyon et le longe sur le haut plateau qui le domine. La montée est intense et la marche difficile, longue. Le balisage est réduit et mes cartes ne sont pas précises, ici. Mon talon d’Achille se fait de plus en plus sentir, ce qui ne présage rien de bon pour la suite. Je boîte. Je parviens finalement à puiser de l’eau dans une bassine, par sécurité, que je pourrais au pire filtrer : il n’y a pas d’eau au camp sur lequel je me replie. Je retrouve le chemin et arrive au camp autour de 19h, en traînant la patte.

Nahal Tze’elim
Parfois, pour passer, il faut se mouiller les pieds
Sortie par le nord du Nahal Tze elim

Plusieurs personnes proposent gentiment de m’aider pour l’eau potable, ce qui est préférable à l’eau croupie, même filtrée ! Un groupe de campeurs me proposent de venir les rejoindre pour le dîner, alors que je m’apprêtais à faire le mien. Ils cuisent un ragoût de bœuf, pommes de terre, pâtes et oignons à la braise, dans une grosse marmite sphérique en fonte. Ils m’offrent une bière. L’un d’eux me propose même de m’héberger quand j’arriverais à la hauteur de son domicile, plus au nord. Je passe un super moment en leur compagnie, confortablement installé dans l’un de leurs sièges de camping, en attendant que le ragoût finisse de bloublouter, saoulé par le limoncello maison à base d’alcool à 95 degrés. La cuisson est longue, je rejoins ma tente vers 23h, fatigué de ma journée mais enthousiaste par cette nouvelle marque de générosité.

Compagnons au bivouac de Tzvira

Une petite étape m’attend le lendemain, pour rejoindre la ville d’Arad. Assez vite, mon talon d’Achille donne des signes de faiblesse et me casse le plaisir de la marche, me ralentit, hypothèque même la suite de l’aventure. Il va falloir que je prenne du repos, alors même que depuis plusieurs jours, je marchais plutôt de façon conservatrice. La fatigue accumulée depuis trois semaines est certainement responsable. Arad est aux portes du désert, c’est assez symbolique que cette blessure frappe maintenant. C’était un objectif partiel pour moi, en particulier pour fuir les fortes chaleurs du sud et en finir avec les portages d’eau délirants. Attendons de voir ce que l’avenir me réserve.

Changement de faune locale

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