Pénurie d’eau avant Hikertown
Il y a plus de 60km entre Casa de Luna et Hikertown, la prochaine étape du parcours : deux journées de marche, entrecoupée d’un bivouac. Je suis parti seul le matin. Après une courte séance d’auto stop, je rejoins le chemin qui reprend doucement de l’altitude.
J’évolue dans des écosystèmes très verts, où les plantes captent l’eau dans le sol en permanence, quand les montagnes sont assez hautes pour arrêter les nuages. Plus bas, les arbres semblent capter l’humidité par les feuilles. Ailleurs, une végétation parait hiberner en attendant des températures plus clémentes.
Je croise un peu moins de marcheurs aujourd’hui, la troupe se disperse. Mapple, un marcheur lituanien, me rattrape et me double. Je ne suis pas particulièrement lent, mais ceux qui sont là ont déjà pris leur vitesse de croisière, après un mois de marche. Je dépasse « Bird », qui profite de l’ombre d’une petite grotte pour faire une pause. Le chemin parcourt gentiment des collines assez arides, la végétation ressemble à du maquis méditerranéen, puis passe à des collines brûlées par le soleil et les incendies selon l’orientation des versants par rapport au soleil, l’altitude. Les arbres morts forment des figures assez inhabituelles et ponctuent le paysage.
Les sources sont rares, et il peut se former une queue de plusieurs personnes au milieu du désert pour remplir nos bouteilles. La source coule quasiment au goutte à goutte, il faut être patient pour remplir les 4 litres sensés m’amener au point d’eau suivant.
La nuit a Sawmill camp fut calme mais un peu tendue. Le camp se trouve à mi-distance entre Casa de Luna et Hiker Town. Il y a de l’eau à côté, c’est en théorie l’endroit idéal pour faire une pause pour la nuit. Sauf que c’est aussi l’endroit où un ours aime venir renifler et voler de la nourriture aux campeurs pendant la nuit, dans les sacs et les tentes. Sur application de cartographie, plusieurs commentaires des précédents marcheurs sont éloquents !
J’en soupçonne beaucoup d’avoir sauté ce camp, préférant marcher plusieurs kilomètres de plus pour éviter une nuit à péripétie. Vu la qualité de mon sommeil ce soir là, j’aurais sûrement dû les imiter. Mais j’avoue que la curiosité et la fatigue ont pris le dessus. J’y retrouve aussi Ben, Rowan, Cameron, Brielle, ainsi qu’un couple d’israéliens, Manor et Tania.
Ce mauvais sommeil m’a certainement fait faire une erreur le lendemain, qui aurait pu être très embêtante. Je comptais sur une source qui s’est révélée être à sec. Une route passe non loin, mais elle est peu passante. Quand je m’en rends compte, je suis à 14km de la source précédente, et à 10km de la suivante, en plein désert du Mojave, par 35 degrés. Heureusement, j’ai de la réserve, mais pas suffisamment pour finir l’étape dans des conditions de sécurité suffisantes. Le solidarité fonctionne à plein, d’autres marcheurs me laissent 1,5l d’eau. Cameron m’indique aussi qu’il a vu une bouteille d’eau de 50ml cachée dans un tuyau de de canalisation près d’une piste. Certainement une ancienne cache. Je pose mon sac et rebrousse chemin pour aller la chercher à 1km de là. Bêtement, je hâte le pas, à l’aller et au retour.
Une cache est un endroit sur le chemin, accessible en voiture, où les gens déposent des réserves d’eau, de soda, et de temps en temps de nourriture pour les marcheurs. On appelle ces gens des Trail Angels, et les caches le « trail magic ». De façon spontanée et solidaire, ils aident les marcheurs, les hébergent, les emmènent en voiture, réceptionnent des colis etc.
Ainsi, Joy et Daniel sont mes premiers trail Angels ! Souvent, ce sont d’anciens marcheurs qui ont fait le PCT, ou des personnes habitant sur le chemin. Ils allient l’utile à l’agréable : petite source de revenus complémentaire pour certains, créer du lien dans des coins perdus pour d’autres. C’est un des nombreux aspects les plus sympas du PCT.
Je lutte un peu sur un chemin interminable, qui parait épouser toutes les originalités du relief, pourvu que le dénivelé soit contenu. la chaleur est très intense jusqu’à 17h. Ma petite excursion vers la cache m’a couté des forces, et surtout fait monter en température. L’eau de mes bouteilles est tellement chaude qu’elle me donne la nausée. A moins que cela soit le soleil, qui menace le marcheur d’un bon coup de chaleur. Je dois m’arrêter, je ne me sens pas bien. Est-ce le stress, est-ce réellement une hyperthermie ? Je sacrifie quelques centilitres pour me mouiller la tête. L’eau s’évapore et me donne une sensation de fraicheur bienvenue. J’ai bien fait de m’arrêter. Je reste assis le long du sentier, quelques marcheurs me dépassent, ce qui me rassure. Si je fais un malaise, je peux espérer que du monde passe. La section est néanmoins superbe, et l’arrivée grandiose. Le chemin descend de la colline très lentement, interminable. Enfin, il finit par filer tout droit, à plat, dans le desert du Mojave. Ce genre de perspective dégagée est une incongruité sur le PCT : Il suit normalement et depuis le début des reliefs constamment vallonnés. Hikertown, l’étape du soir, est déjà en vue. Je l’atteins en fin d’après midi, salué par l’équipe qui le gère et les marcheurs déjà présents.
Comme Casa de Luna, Hikertown est un hôtel « hiker friendly ». C’est à dire qu’ils proposent tout ce dont les marcheurs ont besoin, pour un coût symbolique. Un ancien producteur de Disney a reconstitué avec humour et dérision un village du far West sur sa propriété. Il y a un saloon, une prison, un bureau du sheriff, une mairie, etc. Situé sur le parcours du PCT, il loue pour 10$ la nuit des chambres, offre des services : Les douches, la lessive et l’eau sont gratuits. Il y a également la possibilité de se restaurer et refaire le plein vivres ! Ce retraité adore recevoir les hikers. Il doit apprécier l’animation qu’ils apportent, et quelques compléments de revenus. Voir défiler chez soi un échantillon varié de la population mondiale doit être distrayant.
Depuis quelques années, il est en concurrence avec un autre site qui propose une offre identique, plus loin du chemin. Ce qui a le don de le rendre dingue, allant jusqu’à refuser l’accès aux marcheurs étant d’abord allés chez son concurrent. J’ai vu le propriétaire sauter à la gorge d’un pauvre marcheur Suédois, soupçonné de ce délit, qui ne comprenait pas ce qui lui arrivait. Les PCTistes, victimes d’une haine irrationnelle, pathétique, entre deux trail angels concurrents, au beau milieu de nulle part. Je suis moyennement surpris, j’avais lu des choses sur cette singulière histoire avant d’arriver sur place. Je ne sais toujours pas s’il faut en rire ou en pleurer.
Rob, le manager de l’endroit, nous emmène au magasin du village, pour ravitailler et se restaurer. Puis nous revenons à la propriété. Une bonne ambiance règne pour cette belle soirée. J’apprends à connaitre mes camarades de chemin autour du coin central, ou tout le monde se retrouve. J’apprécie ce moment de détente, quand je vois un marcheur mettre son sac à dos. Il est 9 heures du soir. C’est « Metric ton ». Il part seul, de nuit, à la lampe frontale, dans le désert, avec son énorme sac. Il va marcher jusqu’à l’aube. Un sentiment d’admiration et de faiblesse me saisit : ce mec est vraiment impressionnant. Peu après, d’autres suivent, mais partent en groupe. Faut-il les imiter sur cette étape ? Je n’ai personnellement aucune envie de marcher de nuit, seul, au milieu de nulle part. Allez, la nuit porte conseil, on verra demain ce que l’on décide.
Les chambres sont d’une propreté très relative : pour ainsi dire, elles ne sont jamais nettoyées. Mais par rapport à une nuit sous la tente, c’est du 5 étoiles. Un vrai palace, pour une nuit à l’abri du vent, du soleil, du sable. Le sentiment de luxe ne représente-t-il pas tout simplement la cessation d’une douleur ou d’un manque ?
Je partage ma chambre, le « feed store », avec les chats de la propriété : allergiques s’abstenir. Et aussi, un autre randonneur, « El Chapo », rencontré quelques instants plus tôt sur le chemin. C’est un retraité de 60 ans d’Atlanta, qui s’est lancé dans ce beau défi. J’apprendrais plus tard qu’il marche pour rendre hommage à son fils, qu’il a perdu il y a quelques années.
« La chambre » est plein de trous. La nuit venant, le vent se lève. Déchaîné, il martyrise la pauvre cabane. La porte grince sous l’effort, les fenêtres ploient sous la pression. L’air passe par les nombreux interstices, ce qui crée une ventilation naturelle, pas désagréable. La tempête dissipe la chaleur accumulée toute la journée par le toit en tôle ondulée. La bicoque du shériff, c’est aussi celle des chats.
Le lendemain, je me repose tranquillement, fais ma lessive, prends ma douche. En fin d’après midi, je vois les gens partir, les uns après les autres. Je me décide et les imite, en direction de Tehachapi. C’est une étape de deux jours et demi.