Le Mont Whitney, une gourmandise hors PCT
Le mont Whitney est le sommet des États-Unis continentaux (hors Alaska et Hawaï) : il culmine à près de 4500 mètres. C’est une chance, le PCT passe à côté et son permis permet de monter à son sommet. Également, pas besoin d’être un alpiniste pour y grimper, un « simple » chemin y conduit. Il est assez escarpé ou étroit par endroits, on doit s’aider des mains, éviter de trébucher, ça le rend distrayant. L’altitude corse un peu les choses, également.
Il y a deux accès possibles :
- un accès par la face est, de la ville de Lone Pine
- un accès par la face ouest, du PCT.
Depuis le PCT, le départ est facilité, en comparaison avec un départ de Lone Pine, par le « Whitney Portal ». Le camp de base, au lieu dit « Crabtree Meadows campground », est relativement proche du sommet. En français littéral, il pourrait se traduire « bivouac de la prairie de l’arbre en forme de crabe ». Original, mais surtout un endroit idyllique pour un camping, sans doute sur l’un des plus beaux sites de bivouac du PCT : son herbe grasse, sa rivière translucide, l’ombre de ses pins, sa prairie dégagée et sa vue sur les sommets environnants.
En outre, il permet d’alléger le sac à dos le temps de l’ascension, et d’y laisser tente, sac de couchage, et nourriture. Dans l’espoir de les retrouver en redescendant. Aux Etats-Unis, sur les chemins de randonnée, les marcheurs sont très respectueux, et les vols excessivement rares. Cette pratique de vider son sac est appelée « slack packing », dans le lexique du PCT. Cela se justifie quand certaines sources, sommets, infidélités au chemin, justifient de laisser quelques affaires près du PCT, temporairement, pour gagner du poids dans le sac à dos le temps de l’excursion.
Sur place, un Ranger fait la police, pour éviter que les randonneurs campent trop près du sommet.
Ici, les écosystèmes n’ont que très peu de temps pour se régénérer, et sont très fragiles. Ce sommet emblématique, au confluent des sentiers PCT, John Muir et Whitney Portal attire de nombreux visiteurs qui font pression sur le milieu. Par exemple, Guitar lake, un petit lac que contourne le chemin, est désormais interdit au bivouac.
Les inévitables amateurs de marche de nuit partent vers 1h du matin pour être au sommet au lever du soleil. Certains passent la nuit au sommet. Personnellement je vois pas l’intérêt de marcher 4h à la frontale, se priver des panoramas, se geler sur l’intégralité du parcours, s’endormir debout, décaler son horloge biologique, pour un lever de soleil qui a lieu tous les jours. Je dois avouer une petit agacement, devant cette injonction universelle, que je n’ai jamais comprise, à devoir atteindre les sommets du monde au lever du soleil. La seule chose qui m’aurait fait marcher de nuit est la présence de neige, ou d’orage. Mais cette année, l’accès est dégagé, et la journée s’annonce magnifique.
Bref, après tout, chacun son truc, « hike your own hike » selon l’expression consacrée ici… Hike your own hike… La bonne formule fourre-tout, à l’américaine, que l’on utilise pour se draper des atours de la tolérance, mais complètement hypocrite puisque en son for intérieur, on en pense pas moins !
Je suis parti vers 6h du matin. Le programme est de faire l’ascension de jour, puis redescendre, faire une pause et repartir pour me positionner au plus près du col suivant, le redouté col Forrester. Une journée estimée à près de 35km, et 1500 m de dénivelé positif. Assez crevante et stressante, d’autant plus qu’après 500km, je commence tout juste à avoir mes « hiker legs », mes jambes faites.
J’avoue avoir ressenti une solitude assez prononcée sur cette montée exclusivement minérale, dans cette lumière bleu pâle, glaciale, de l’aube. J’ai certes fait le choix d’évoluer seul, depuis le départ. La liberté, parfois, a un coût : je me sens tout petit, très vulnérable et impressionné dans ce cirque rocheux orienté ouest, dans la nuit, puis à l’ombre des premiers rayons du soleil. Je crains l’altitude, et fais l’inverse de ce qu’il faut faire : souhaitant hâter la montée, j’ai maintenu un rythme soutenu, ce qui est idiot dans un air et une pression raréfiée. Un peu groggy, mais paradoxalement en pleine forme, je regardais longtemps mes pieds pour éviter au vertige et à l’angoisse de prendre le contrôle de la situation. J’ai vraiment la tête qui tourne et dois lutter pour garder mon sang froid. Heureusement, je rattrape rapidement quelque marcheurs devant moi, dont j’avais aperçu la lampe frontale.
Arrivé à la crête, les deux versants (est et ouest) se rejoignent et on est accueilli par un soleil chaud et réconfortant. On y croise les grimpeurs de l’autre versant. Je discute un peu avec un jeune Californien venu faire l’ascension de l’autre coté, en solo comme moi. Avec la conversation, la pression redescend, après 3h passé la tête dans les chaussures.
Le chemin de crête terminal, qui monte au sommet (3km quand même), raide, sinueux, exposé, est un plaisir.
Vient finalement l’arrivée au plateau sommital. Comme quand on arrive au troisième étage de la tour Eiffel par les escaliers, on a ce sentiment mitigé : on est secrètement content d’avoir bravé ce défi, mais on arrive dans l’indifférence générale. Le sommet est un amoncellement dantesque de blocs de granit, sur lequel est planté un petit refuge, construit jadis pour les astronomes et scientifiques. La vue est à 360 degrés, particulièrement dégagée par ce temps somptueux.
Quelques marmottes opportunistes et peu farouches, se foutent complètement de la vue. Rationnelles, elles profitent des restes des en-cas de la vingtaine de randonneurs qui, un peu dans les vapes, portent leurs yeux embués d’émotion vers l’horizon.
Bêtement, comme pour tout sommet, le mécanisme est classique. On se demande ce qu’on fait là quand on grimpe, puis on est content en haut.
Je ne traîne pas trop et assez vite, je redescends. Amusé par le chemin chaotique, grisé par le panorama, libéré par mon sac léger, je vais trop vite. Cela me coûte un gros coup de pompe à 2km du camp de base, et une prise de risque inutile pour la suite du parcours. Mais en même temps, c’est une façon de décompresser.
Alors, je m’arrête, déjeuner, fais une sieste, et repars pour 8km de chemin. Je récupère ma tente et le reste de mes affaires à Crabtree meadows puis me fais violence pour repartir sur le PCT. Idéalement, il faut que je me reproche du col « Forester », pour le passer dans la matinée le lendemain. Je me sens étonnamment assez bien. La marche a cette capacité incroyable de régénération, malgré mes deux journées en une.
Cette excursion hors du PCT est finalement mémorable. Le temps sublime y a beaucoup contribué. Par temps orageux, cette crête est bien trop exposée. Une superbe journée pour de jolis souvenirs en tête !
2 commentaires
Lorraine
Superbe!
Bravo Dam, pour la performance et le blog, qui est super sympa à lire.
Dam
Merci!