L’approche vers Jérusalem est marquée par de très belles rencontres. Le resserrement des agglomérations me poussent à solliciter l’hospitalité chez les nombreuses personnes qui me l’offrent le long du chemin. Tout d’abord chez Ayelet, à Beit Guvrin. Elle m’ouvre généreusement les portes de sa maison, le dîner, et une chambre pour moi tout seul. Le chemin est sans difficulté, agréable, simple. Je m’arrête à Dvira, petit kibboutz paisible qui met à disposition des marcheurs un lieu pour une halte sommaire mais efficace. J’atteins Tsur Hadassa, dans la grande couronne de Jérusalem. Nadav, que j’avais rencontré il y a quelques semaines près de Mitzpe Ramon, m’avait dit que sa mère Dori était Trail Angel et pourrait sans doute m’accueillir. Ce fut le cas, et largement au delà de mes espérances. Nous avons partagé des discussions passionnantes sur toutes sortes de sujets : les voyages, les études, Israël, ses liens avec les États Unis, la religion, et bien sûr la politique. Les temps sont durs pour Israël, qui traversent – ici aussi – une crise démocratique. La tentation politique autoritaire semble prendre de l’ampleur, et de nombreux citoyens descendent manifester toutes les semaines. L’heure à défilé, mais le jeu en valait la chandelle ! Merci Dori ! Le recours aux trail angels est simple : vous consultez la liste a jour des contacts sur internet, envoyez un message par Watsapp à l’une des nombreuses personnes qui proposent un hébergement suffisamment à l’avance (au moins 48h idéalement) en fonction de là où vous comptez arriver, puis elles vous renvoient leur adresse et heure d’arrivée souhaitée. Le plus souvent, elles vous offrent un dîner, une douche, la lessive du linge, et un lit ou un matelas. Parfois même, elles viennent vous chercher ou vous déposent sur le chemin, si la maison est loin du chemin. Plus qu’aux États Unis, cette communauté est dense et extrêmement généreuse. Ici, le shvil est souvent emprunté par les jeunes à la sortie de leur service militaire. Beaucoup de familles ont des enfants l’ayant parcouru, et peuvent donc se projeter sur nos besoins. Ces hébergements sont une bénédiction pour des raisons évidentes de logistique et de budget (tout cela est offert gratuitement), mais aussi parce qu’il est parfois difficile de trouver des zones pour camper suffisamment à l’écart des villes, axés routiers, et autres campings bruyants et fréquentés. Surtout, c’est un moyen extraordinaire pour rencontrer les habitants, comprendre leur vie et leurs préoccupations, passer un bon moment avec eux. La plupart parlent bien anglais. Parfaitement reposé, j’arrive enfin à Jérusalem. Les collines prononcées qui marquent l’accès à la ville sainte sont bordées de vignes, d’oliviers, de cyprès, de pins, d’arbres fruitiers. La pierre calcaire rappelle les paysages de maquis marseillaise. Les forêts de pins me protègent de leur ombre réconfortante. Mais très vite, de gros immeubles en construction qui écorchent les collines font leur apparition. Me voilà dans les faubourgs de la ville sainte. La métropole métastase grignote inlassablement sur les charmants vallons façonnées en terrasses par des générations d’agriculteurs pendant des millénaires, légumes et huile d’olive. Partout, jusqu’au pied des immeubles, des ruines en attestent. Heureusement, le shvil se fraye habilement un passage en slalomant entre les patates de béton. Je retrouve un groupe de shvilistes israéliennes avec qui nous nous croisons souvent, qui me proposent de déjeuner un peu plus loin, dans un petit restaurant. Je me laisse convaincre, malgré une certaine réticence : je dois préparer un semblant d’organisation avant de visiter cette ville légendaire. Je ne sais par où commencer, tellement la ville est riche de curiosités. Nous déjeunons dans le joli petit quartier de Kerem, à l’ouest de la ville. Le superbe bulbe doré d’une église orthodoxe nous toise sur la colline. Si l’on occulte les automobilistes locaux qui feraient passer les parisiens pour des moines boudhistes, le déjeuner en terrasse est très agréable. Je me trouve non loin du mont Herzl, sur lequel est installé le musée de l’holocauste Yad Vashem. Cela sera ma première visite. Les salles d’enchainent, impressionnantes, très documentées. Le site est magnifique, paisible, intégré au paysage. Le soin extraordinaire apporté au lieu et à ses finitions tranche nettement avec le reste de la ville, et même des villes, Israel en général. Le message symbolique porte les concepteurs et les conservateurs à une attention particulière au détail, ce qui n’est pas courant. L’architecture est épurée, sobre, humble. Je suis rarement marqué par les bâtiments, mais ici, c’est le cas. Surtout, la forme sert le fond. La visite des pièces les plus sombres les unes que les autres se termine sur un porte à faux au dessus du vide, dans le ciel lumineux, avec une vue sur les collines environnantes. De l’ombre à la lumière, La symbolique est saisissante. Ce lieu fait le récit rationnel et précis des événements ayant précédé et succédé a l’holocauste. Mais il est impossible d’expliquer l’inexplicable. Ils nous laisse avec une émotion forte qui dépasse la raison. A la sortie, quelques personnes sont en pleurs. La question implacable reste posée : comment la société la plus cultivée d’Europe a-t-elle pu engendrer cela ? La culture n’est pas un rempart suffisant, l’homme doit se méfier de lui-même. Je me remets de mes émotions et me dirige ensuite dans la vielle ville. En Israël, le réseau de transport publics (vus, trams) est particulièrement développé et efficace. C’est l’une des réminiscences socialistes apportée par les colons issus d’URSS, au même titre que les kibboutz : la liberté de circuler facilement, pour tous. C’est déjà la fin de l’après-midi, et les ruelles se vident rapidement. Je ressens les strates de l’histoire qui se sont accumulées. La vieille ville, vidée des engins motorisés, respire les siècles et le sacré, donne l’impression de se promener dans un musée à ciel ouvert, d’autant plus qu’il est vidé de ses visiteurs. Les bâtiments semble imbriqués les uns aux autres comme un gigantesque jeu de Mikado, dans lequel on aurait jeté des églises, des mosquées et des synagogues au milieu de souks et d’habitations exiguës. Les portes en métal ouvragé, les escaliers, les voûtes : chaque centimètre de l’espace a été optimisé, pensé, soigné. Les pavés de calcaires rendus glissants par le passage des siècles luisent sous les lampadaires jaunâtres. La nuit tombe, je quitte le calme de la citadelle pour rejoindre les embouteillages de la périphérie sous le regard goguenard et hautain des chats errants, dont la toilette est irréprochable, contrairement à la mienne. Je rejoins Ran dans une pizzeria de la ville, où nous dînons avec deux de ses comparses qui l’ont connu sur le PCT. Ran est égal à celui que j’ai toujours connu : enthousiaste, subtil, positif, authentique. Il n’a pas changé. Je l’avais connu lors de mon PCT, nous avions marché quelques jours ensemble. J’avais apprécié sa culture, sa curiosité insatiable, nos débats respectueux malgré nos divergences. Il m’avait alors vanté les mérites du Shvil, et avait semé la graine dans mon cerveau. Intrigué par Israël et ce chemin qui n’est connu qu’ici, j’avais envie d’en savoir plus. Ran est actuellement étudiant en ingénierie électrique, et passe le plus clair de son temps à l’université de Jérusalem. Ce qui ne l’empêché pas d’aller grimper, descendre des canyons et de continuer à randonner. Son dernier fait d’armes est le Continental Divide Trail, un petit chemin américain de 5000 km qui suit la ligne de partage des eaux. Jumeau du PCT en plus long, plus sauvage et moins fréquenté, il représente une vraie aventure de cinq mois remplie de broussailles, d’orages impitoyables, de montagnes isolées, de hot dogs, d’habitants revêches et de grizzlis. Ran m’héberge royalement dans sa petite maison dans un village à l’extérieur de Jérusalem, vers l’est, dans le désert de Judée, en Cisjordanie. Jérusalem présente en effet la particularité d’être sise entre forêts et désert, les collines stoppant l’essentiel des précipitations. On a beau être en Cisjordanie, le village est dans une zone administrée et occupée officiellement par Israël. Ce qui n’est pas le cas d’autres zones de ce territoire, dont celle administrée par l’autorité palestinienne, dans laquelle les israéliens ne mettent pas les pieds sous peine de risque de lynchage. Deux checkpoints contrôlent quand même l’accès à la localité, qui vit paisiblement a l’écart de la métropole insatiable. De ses fenêtres, on aperçoit le désert, et plus loin, la Jordanie, Amman en particulier. Les sac léger, je poursuis le lendemain ma visite touristique de la vieille ville, profite d’une fréquentation relativement mesurée en ce mois de mai, et me réfugie à l’ombre des bâtiments, forteresses, églises, monastères séculaires. La chaleur est déjà forte. La tour de David est l’une de mes visites préférées. Il est à l’image de la ville : maintes fois construite, détruite, reconstruite. Je me sens bien humble face à ces siècles de civilisation. Le soir, je prends le pouls de la ville moderne, ses marchés animés, ses bars branchés, ses habitants affairés. Quand Ran me raccompagne en voiture le soir, il me relate les différents attentats ayant eu lieu sur le trajet. Je prends conscience d’une ville régulièrement touchée par l’horreur, d’un pays littéralement en guerre, mais qui continue à vivre avec d’autant plus d’appétit, accompagné d’une certaine défiance voire indifférence envers les commanditaires de ces actes. Les israéliens sont tous différents dans leur état d’esprit face au problème palestinien. Le spectre s’étend des plus tolérants, passifs, aux plus inflexibles, répressifs. Mais une chose est sure : ils sont tous très attachés à leur pays et croient en leur avenir. Je repars finalement de Jérusalem après 2 jours de visite et d’échanges passionnants avec Ran. Il n’y a rien de mieux que la marche et la rencontre de ses habitants pour découvrir un pays de l’intérieur. En sortant de Jérusalem, je marche une dizaine de kilomètres et arrive dans un petit local mis à disposition des voyageurs par la communauté de Tsuva. Quand je demande mon chemin vers la petite maison, deux jeunes israéliens m’informent que je ne serais pas seul et que d’ailleurs, un français y est déjà installé. J’ai ainsi la demi-surprise de rencontrer Jean-Athanase, un jeune Français parcourant un pèlerinage à vélo depuis la France. Il est parti de la meilleure des façons : sur un coup de tête, sans réfléchir et sans trop de budget. J’adore rencontrer ces voyageurs téméraires qui ont tant d’anecdotes à raconter, tant de rêves a réaliser, une bonne dose de courage et cette belle indépendance d’esprit qui les poussent à ne pas subir leur vie. Il a quitté l’armée, a fini ses études, et s’apprête à chercher du travail à la rentrée, avec pas mal d’interrogations. Le lendemain, Jean aura accompli son pèlerinage : atteindre Jérusalem à vélo en un peu plus d’un mois, s’y recueillir, se poser des questions essentielles et peut-être répondre à certaines d’entre-elles ! La foi, comme une boussole, l’a guidé à travers les épreuves de son périple improvisé. Il apparaît content d’en être arrivé là, mais sans joie excessive. Sur de lui, de ses convictions, de ses forces. De mon côté, j’ai une certaine lassitude à reprendre le chemin. Elle est classique quand je quitte le confort offert par un hôte. Mais elle est aussi consécutive à un mois de marche à travers ce pays qui n’offre ici qu’une nature domestiquée, parquée, encadrée. Les villages, routes, vignes, champs, vergers, sont partout. Ce n’est pas désagréable, mais cela manque de sauvage. De plus, je viens d’atteindre une grosse étape de mon parcours, et dois me remettre en tension vers la suivante. Joie, relâchement, renaissance, action. La marche aussi est régie par des cycles. Je décide cette fois-ci d’échapper à une certaine langueur par le mouvement : en multipliant les kilomètres. Dès le lendemain, je parcours 35 kilomètres, également le surlendemain. J’ai aussi besoin de calme, de me retrouver un peu, dormir dans ma tente, laisser les kilomètres passer au tamis les pensées et émotions récoltées. Je veux aussi, plus prosaïquement, tester ma cheville convalescente. Le chemin n’est pas désagréable, relativement plat, le temps est idéal. Un de mes campements est cependant…
Quand j’approche la petite ville d’Arad, j’ai des sentiments mitigés. Je suis heureux d’en terminer avec le désert, les températures, les ravitaillements compliqués, une certaine monotonie du paysage. Mais j’appréhende un peu de retrouver la ville, et suis préoccupé par la douleur à la cheville qui s’intensifie. Une famille de trail angels ouvre sa maison aux randonneurs, et j’ai l’opportunité d’y passer un peu de temps. A l’entrée de la ville, Medard le letton m’aperçoit et me fait signe de loin. Il me guide vers la maison qui est pleine d’une horde de 70 randonneurs venus passer le Shabbat. Le chaos est indescriptible, des tables occupent tout l’espace du rez de chaussée. J’y retrouve beaucoup de shvilistes déjà croisés précédemment. Beaucoup ne suivent pas exactement le fil du chemin, en marchant des sections selon les fêtes, la température et leurs envies. Je suis assez fatigué de ma dernière nuit où je n’ai pas vraiment récupéré, et j’ai besoin de me reposer. Je n’y parviens pas vraiment. Il y a trop d’agitation ici, trop de monde, et pas la possibilité de s’installer confortablement, à l’écart du tumulte. Pendant le déjeuner collectif, des psaumes et des prières alternent avec les mets et les cantiques enjoués. Certains marcheurs sont plus religieux que d’autres, et prennent la parole, dont je ne comprends pas un traître mot. Ma voisine de gauche tente de m’expliquer ce qui se passe, mais mon capital patience et réceptivité est déjà bien atteint. J’essaie de me relaxer l’après-midi, sans trop y parvenir. Je n’aime pas cet endroit trop collectif, trop bruyant, trop sale, trop fréquenté. La maison, en cours de construction, n’est pas complètement terminée. Le couple qui y habite fait preuve d’une générosité exceptionnelle, en l’ouvrant à tous. Leurs 6 enfants vivent au milieu de ce capharnaüm, je ne sais comment. Je les plains un peu de voir leur univers envahi par une horde de marcheurs sales. Une de leurs filles dort au milieu du salon, sur le canapé. L’autre s’amuse avec ses amies, l’air de rien. Après un pauvre dîner où je termine ce que j’ai dans mon sac (c’est à dire pas grand chose), je me trouve une place au sous sol, à la cave qui sert de dortoir pour m’allonger. Je m’étends sur l’un des nombreux matelas, dont la couleur n’incite pas à la confiance, que j’aurais préalablement protégé de ma bâche de sol. Dehors, les jeunes organisent un barbecue et font la fête jusqu’à 3h du matin. Je mets mes bouchons d’oreille qui font des miracles, si bien que je me réveille le lendemain matin en ayant rien entendu des fêtards venus finalement se coucher à côté de moi, mais pas reposé pour autant. Après un bref café, je fuis de la maison pour aller en centre ville en bus. Je me réfugie dans un petit restaurant pour le remettre de mes émotions. Je n’ai jamais aimé ces environnements trop collectifs, qui me rappellent avec douleur le scoutisme. Et je me rends compte aujourd’hui, que je ne les supporte plus, que je n’ai plus envie de faire d’effort pour cela. Je suis donc contraint de trouver un autre endroit pour soigner ma tendinite. Gal m’a heureusement connecté à l’une de ses connaissances, Gev, qui habite à Har Amasa et est d’accord pour m’héberger. Je décide de m’y rendre directement en bus depuis Arad, ce qui est une formalité (20 minutes de trajet). Je marcherais cette section plus tard : il est temps de me reposer vraiment. Gev m’apostrophe en français alors que je cherche sa maison dans son petit village. Il a quelques restes de ses quelques courtes années de jeunesse vécues à Bruxelles. C’est une sympathique petite communauté de maisons simples mais cossues, environnées de champs verdoyants, de vergers, de petits conifères, sillonnés par quelques chiens et chats sympathiques, de poules, de oies et autres créatures pittoresques. Il me propose de m’installer dans la petite chambre d’amis bunkerisée. Comme chez Gal, une pièce à l’épreuve des obus et attaques bactériologiques est obligatoire dans les constructions récentes en Israël. C’est un peu symbolique pour moi, qui vais pouvoir profiter d’un havre de paix pour récupérer de mes péripéties récentes. Gev et sa compagne Julie (Yuli ?) sont extrêmement généreux de me faire confiance en me laissant leur maison, alors que pendant la journée, ils travaillent tous les deux. Gev construit de ses mains une nouvelle maison non loin d’ici. Ce niveau de confort inespéré me permet de reprendre rapidement des forces, de m’octroyer une vraie pause bienvenue d’une journée compète. Ils m’offrent le repas du soir, nous buvons un verre de vin sur la petite tonnelle devant la maison, puis nous allons à la salle des fêtes pour commémorer les victimes militaires des conflits dans lesquels Israël fut impliqué. C’est le national Memorial Day. De nombreux enfants animent la cérémonie en lisant des textes ou chantant. J’y fais la connaissance de Paul, un ancien parisien, qui habite ici depuis 20 ans avec ses enfants et ses petits enfants. Il est guide touristique, principalement à Jérusalem. Il y a deux familles autrefois françaises dans cette petite communauté jeune et familiale. Il est amusant de noter qu’ils n’ont pas abandonné la langue française, qu’ils utilisent toujours pour communiquer entre eux, ce qui m’interpelle dans ce petit village où je n’imaginais que l’on ne parle qu’hébreu. Comme les immigrés russes récents, ils ont gardé leur idiome d’origine. Nous parlons évidement de politique et de la complexité sociale de ce pays étrange, improbable qu’est Israël. Je sens que mon talon va déjà mieux. L’étape entre Arad et Her Amasa est facile, plate, pas trop longue (25 kilomètres). je décide de me tester en douceur. La température est idéale. Le bus du matin me ramène à Arad, et j’entame donc cette marche dans une belle fraîcheur, malgré quelques appréhensions. Je ne m’attarde pas en ville et rejoins rapidement les faubourgs, puis la campagne environnante où quelques bédouins font paître quelques troupeaux de chèvres maigrichonnes. Je traverse des vergers, des champs, des parcs. Marcher au milieu de la verdure est vraiment réconfortant, si l’on met de côté les jeunes chiens de berger inexpérimentés qui accourent pour m’aboyer dessus. Ils restent à distance respectable, heureusement pour moi (et pour eux – mes bâtons de marche peuvent servir à autre chose). La maîtresse de maison d’Arad, aveuglée de sa haine envers les arabes, m’avait déconseillé de marcher cette section seul, à travers une zone qui comporte plusieurs villages de bédouins soit disant dangereux. Comme d’habitude, je constate que ces peurs sont souvent fantasmées. A aucun moment, je ne me sens en insécurité, et la promenade se déroule dans une parfaite harmonie avec les quelques individus que je croise. Je fais ma pause déjeuner et visite Tel Arad, une ancienne citadelle bien plus petite que celle de Masada, mais plus ancienne aussi. Certains vestiges remontent à -4000 avant JC. Nous sommes sur la route de la mer morte, de Masada. Ma tendinite se manifeste alors que j’approche d’Amasa. Je l’oublie rapidement, accueilli à nouveau chez Gev et sa compagne par une douche chaude, puis une superbe bière fraîche sur la petite terrasse à l’abri du vent et des derniers rayons du soleil. Ce soir, le village fête l’indépendance, et les voisins se retrouvent pour un barbecue convivial. Gev cuisine une pièce de bœuf exceptionnelle, des falafels, tandis que les voisins servent pizzas, galettes de pain au fromage et vins de choix. Boaz est l’un de ces voisins, qui est guide spéléologue passionné et doctorant en géologie. Il a une personnalité particulièrement attachante. Il est prompt à partager son enthousiasme, son histoire, ses anecdotes avec une fraîcheur et une humilité qui m’inspirent. On sent qu’il mène une vie alignée sur ses valeurs et ses passions. Les autres voisins, leurs familles, dont les noms m’échappent malheureusement après quelques verres de vin, font preuve d’un accueil touchant. Cette générosité tend à se répéter au cours de ce shvil qui prend des tournures de chemin des anges. En une vingtaine de jours, je rencontre plus de personnes intéressantes qu’en un an à paris. Ou alors est-ce moi qui suis plus réceptif, plus curieux, plus ouvert aux autres, aux échanges, plus simple ? Je constate que le relatif dénuement de ma situation me conduit à faire de belles rencontres. Rien de très original à tout ça. Tous les voyageurs acceptant un certain lâcher prise, s’ouvrant à l’altérité, à l’inconnu, connaissent et recherchent cette authenticité. Gal, mon ami qui m’avait accueilli à Tel Aviv, me fait l’honneur de me rejoindre pour la journée du lendemain, avec un de ses amis d’enfance, Uri. C’est la fête nationale de l’indépendance, qui est donc fériée. Ils le rejoignent chez Gev : pour une fois, je ne pars pas en solitaire. Uri, comme Boaz (ils se connaissent), est géologue et intervient comme ingénieur conseil en amont de gros projets d’aménagement. Il était aussi, un temps, guide. Il connaît bien la région. Les bois de petits sapins dans lesquels nous cheminons ont été plantés il y a une vingtaine d’années, pour reforester la région et recréer des écosystèmes, limiter le changement climatique, et occuper géopolitiquement cette terre à quelques centaines de mètres des territoires palestiniens. Les résineux, qui poussent espacés dans des collines verdoyantes de graminées sauvages, procurent une ombre bienvenue et un côté bucolique à notre ballade. Le désert semble déjà très loin. En fait, derrière la barrière qui fait la frontière avec la Palestine, rien n’a été planté : c’est un désert couvert de petites pousses sèches, parvenant à peine à nourrir les troupeaux. Le contraste est frappant. Nous bavardons dans l’insouciance avec Gal et Uri, partageons un déjeuner qui me parait pantagruélique. Mais la journée est déjà bien avancée et il est temps pour eux de repartir à la maison. De mon côté, j’achève l’étape tranquillement vers Meitar, dans une après-midi superbe à travers les collines apaisées par une brise soutenue. Je longe le mur qui marque la ligne de démarcation entre Israël et territoires palestiniens. Il me rappelle la frontière entre le Mexique et les États Unis, courant arbitrairement dans le paysage, au gré des collines. Un symbole de tensions qui ne sont pas résolues, et pas près de l’être. Je plante ma tente en fin d’après-midi, au milieu d’une petite forêt parsemée de quelques tables de pic-nic et d’une fontaine d’eau potable. Quelques jeunes, à une centaine de mètres, partagent un bon moment autour d’un feu, la musique à fond. Ils rentrent chez eux vers 22h, et le silence s’installe enfin, marqué par les bruits habituels des animaux de la forêt. Quelques hurlements de coyotes, de renards (ou de loups ?) non loin de ma tente interrompent ce silence. Je dois me réhabituer à dormir en présence du sauvage. Peu après, j’entends gratter fortement non loin de ma tente, et je surprends deux yeux curieux dans le faisceau de ma lampe, qui s’éloignent en marquant quelques arrêts d’étonnement. L’oreille aux aguets, en tension relative, je sombre finalement dans un sommeil assez peu réparateur, assez tard dans la nuit. On s’imagine toutes sortes de choses quand on dort seul dans une forêt. Principalement, la visite inopportune de quadrupède gourmand venus flairer quelque victuaille alléchante dans ma tente. Il me faut plusieurs nuits revenir à une certaine sérénité : le vrai risque quand on dort en solo, c’est les mauvaises rencontres humaines, et son mental. Je repars tranquillement sereinement le lendemain : aucun chapardeur inopportun ne s’est présenté. L’étape est de nouveau courte, facile, parfaite pour espérer remédier par un exercice modéré aux inflammations. Je chemine avec beaucoup de plaisir, sans forcer, dans les prairies et les petites forêts verdoyantes, qui me rappellent le sud de la France. Le ravitaillement en eau et nourriture n’est plus un problème, ce qui allège mon sac à dos et mes tracas logistiques. Néanmoins, la cheville se manifeste en fin de journée, le faisant légèrement boîter. J’arrive assez tôt au kibboutz de Dvira, petit village paisible entouré d’exploitations agricoles. J’y fais un ravitaillement princier dans la…
Après deux jours de pause, je suis pressé de quitter Mitzpe Ramon, hypnotisé par la drogue de l’itinérance. J’ai une petite dette envers le chemin : je dois parcourir à pied la partie que j’avais escamotée, juste avant d’arriver à Mitzpe Ramon, en anticipant l’orage et faisant du stop. Me voici donc aux portes de la ville, espérant attraper une voiture pour me ramener à mon point de sortie du chemin. Le sort s’acharne, la route vers le sud (la seule possible) est toujours fermée. Je décide de passer outre le barrage (c’est possible, à pied) et descends sur la route déserte. J’espère secrètement qu’un riverain qui sera passé au travers du filtre policier veuille bien me prendre en stop. En effet, le ruban d’asphalte s’étire et m’intimide. Ma chance est là, une employée du camp à côté duquel j’avais interrompu le chemin me ramène exactement à l’endroit indiqué ! Heureux de ce retournement de situation, j’avale la portion qui me sépare de Mitzpe Ramon dans un relatif détachement : elle n’a pas d’intérêt particulier, à part celui de rester droit dans mes bottes d’une éthique toute personnelle de la longue distance ou nul kilomètre possible n’est escamoté. Vers 10h, je suis de nouveau dans la ville, et enchaîne sans ménagement la section suivante, le long de la falaise du cratère. Je m’extirpe avec bonheur de la glue de cette ville qui m’a cependant requinqué. L’orage est oublié, quelques nuages couvrent le ciel. Mais il fait toujours frais, un peu au dessus de 10 degrés. Je marche avec un haut en laine mérino et un coupe vent. Je suis une piste de 4×4, qui a l’avantage de me faire couvrir facilement de la distance, mais l’inconvénient d’être assez monotone. Peut-être est-ce le livre audio parlant des innombrables processus de corruption dans la politique française, Macron en particulier, qui me mine le moral ? L’humain est parfois désespérant. Au moins, j’avance. En fin de journée, le chemin se faufile dans un canyon superbe, désert, sauvage, pour en ressortir peu après, au lieu dit du camp. Ce soir, j’ai des voisins. 3 jeunes shvilistes et un groupe de garçons qui font un week-end de camping en 4×4. Je dîne avec mes compagnons de chemin, et sympathise avec Nadav, qui trimballe sa guitare sèche, sa gentillesse, ses yeux malicieux et son enthousiasme communicatif. Par contraste, les deux autres filles qui nous retrouvent au dîner me paraissent distantes, fermées, ternes. Nadav a fait un feu, mais je prends rapidement congé, lassé de la conversation en hébreu à laquelle je ne comprends rien, de la fumée qui me brûle les yeux, et harassé de la journée où j’ai finalement parcouru plus de 40 km. J’ai encore quelques vertiges, hérités des chaleurs Sapiriennes. Je me dépêche pour rejoindre Midreshet Ben Gourion, une petite ville où je vais pouvoir ravitailler. Malheureusement, je quitte le bivouac trop tard et n’arrive pas suffisamment tôt pour accéder au supermarché. Les jours de Shabbat, le vendredi, les commerces ferment à 14h. Je me replie à regrets sur la triste station-service, dans laquelle je retrouve un assortiment pauvre qui me pousse à des trésors d’inventivité pour composer les 4 jours de repas nécessaires. Le temps de recharger mes batteries, je suis déjà reparti vers le camp en dehors de la ville, à 8 km de là. J’y retrouve les 4×4 habituels des familles venues camper, mais aussi d’autres randonneurs, qui se font de plus en plus nombreux. Après les fêtes de Pâques passées en famille, ils sont nombreux à être de retour sur le chemin, vers le nord ou le sud. Un ranger me dépasse en voiture, et me demande d’un air suspicieux où je compte camper. Il propose finalement de m’y déposer, ce que j’accepte de bonne grâce : je marchais une étape de liaison vers le sentier officiel, et je gagne un kilomètre d’effort. Dans la nuit, un petit vent glacé se lève, et se glisse sous le toit de la tente mono paroi. Dans mon sommeil, je n’y prête pas trop attention, mais le temps de me couvrir le cou, il est trop tard : j’ai déjà pris froid ! Je me connais, et en général, je pars pour un bon rhume après ce petit déclencheur. La température est difficile à lire, ici. Les prévisions ne correspondent pas aux conditions vécues. Un 28 degrés annoncé sera ressenti à 35, à 13h et en plein soleil, sans vent. L’après-midi, la chaleur est longuement irradiée par le sol. Même à l’ombre, c’est pesant. Le vent est le plus souvent absent, mais il se lève souvent au crépuscule, pour finalement tomber pendant la nuit. La météo n’est absolument pas fiable sur ce critère. Certaines nuit sont fraîches, d’autres pas. Je repars avec un point dans la gorge, qui n’annonce rien de bon, mais garde l’ambition inavouée de boucler deux étapes dans la même journée. Une bizarrerie du parcours et du guide qui l’accompagne propose une étape de plat de 15 km, sans intérêt, suivie d’une section de 18 km de massif rocheux beaucoup plus intéressante : le Mont Karbolet. Je suis à la deuxième étape à 9h30. Soit je reste la journée en plein désert à rôtir au soleil, soit j’enquille. « La question est vite répondue », c’est parti pour l’escalade (le mot n’est pas trop fort) du canyon qui me conduit au Mont Karbolet. Je dois ranger les bâtons sur le sac pour grimper certains ressauts en sécurité. Le point dans la gorge se transforme rapidement en rhume et en fièvre, et par 35 degrés, je me force pour ralentir et manger quelque chose. Je me sens bien faiblard, alors que la température me liquéfie, déjà. Après un raid en solo dans les blocs énormes qui obstruent une montée relativement délicate et lente, je croise d’autres shvilistes qui s’octroient une pause immergée dans une cuvette d’eau de pluie verte. Leur présence me change un peu les idées, qui me sont à cette heure déjà un peu floues. Ce sont les premiers randonneurs que je croise aujourd’hui. Ils suivent aussi le shvil vers le nord. Je poursuis sur le Mont Karbolet, que l’on parcourt comme sur le dos d’une baleine : sur l’arête de la crête, comme une gigantesque colonne vertébrale. Il n’y a plus de chemin, simplement des pans de roche déversants. Cela me rappelle le GR20, tant le plat est absent. Le spectacle est grandiose, car le mont domine à l’est une autre caldera, aux ocres, rouges, violets, gris caractéristiques. De l’autre côté, s’étend le désert, voilé par une brume de chaleur qui ne laisse pas de doute sur la pesanteur de l’atmosphère. La chaleur devient insupportable vers 13h, bien au-delà de 35 degrés, malgré ce qui était annoncé. Je me réfugie plusieurs fois à l’ombre pour faire refroidir la machine. Je fais comme la faune locale et me réfugie dans un recoin de caillou, sous la crête, au bord du précipice. Je le quitte néanmoins rapidement pour éviter que le vertige et l’ennui ne me gagne, vers 15h. J’ai encore du chemin, traverse le haut plateau et redescends peu après dans un n-ième canyon à sec, où je trouve une petite grotte pour m’abriter de la chaleur déjà accablante, à son maximum entre 12h et 16h. Je m’habitue lentement à la marche dans le désert, sa relative monotonie. Mais la fin de cette étape ne vient jamais. Elle n’en finit plus, avec des coups de théâtre, ses faux cols, ses montées surprise. Le chemin ne fait que descendre puis remonter, au gré des reliefs capricieux. J’ai eu les yeux plus gros que les jambes aujourd’hui. A force d’abnégation, j’atteins le camp visé, près de la mine de phosphates d’Oron, en fin d’après midi, rincé. Ce camp n’est pas pittoresque, mais a le mérite de fournir de l’eau fraîche, des prises pour recharger mes chinoiseries électroniques, et quelques tables de pique-nique, jetées sur un terrain vague soufflé par de fortes rafales venues de l’ouest. Aujourd’hui, la douzaine de shvilistes que j’ai croisé et dépassé arrivent avant la tombée du jour, vers 19h. Je suis assez content de retrouver des camarades de jeu, cet esprit communautaire qui reigne sur les chemins de grande randonnée du monde, le PCT en particulier. La différence de langue et de génération est prégnante : la grande majorité des marcheurs ont la vingtaine, viennent de finir leur 3 ou 2 ans de service militaire obligatoire (hommes ou femmes), et sont israéliens. Les seuls étrangers que j’ai brièvement croisé sont un estonien, un letton, Medard, et un slovaque, Martin. Mes camarades commandent des pizzas, et le proposent gentiment d’en commander une pour moi. Je saute sur l’occasion. Malheureusement, elle arrive tard, et froide ! Mais, je ne la regrette pas. Elle est si grosse que je ne mange que la moitié, et embarque le reste dans mon sac. Cela améliorera l’ordinaire de mes pauvres provisions de la station service. Ce contingent de marcheurs forme une petite troupe qui se croise et se décroise, au gré des pauses et des bivouacs. Le lendemain, j’en rencontrerai encore plus. Le soir venu, au camp, les effectifs s’inversent : que des shvilistes, et plus un seul 4×4. Dans le jargon, on appelle une « bulle » l’essentiel des randonneurs qui parcourent un chemin de longue distance. Il semble que j’ai rattrapée la dernière bulle de la saison, à la faveur de la semaine pascale où ils ont tous pris quelques jours de pause en famille. Les questions systématiques que l’on me pose sont : Les jeunes Israëliens sont sympas, curieux, et n’hésitent pas à m’aider, surtout dans la mesure où il y a peu d’étrangers. Ils parlent en général bien anglais, cela facilite considérablement les échanges. Ils marchent la plupart du temps en groupe. La gente masculine est sur-représentée. Au niveau des sensations et du moral, la journée qui suit le bivouac près de l’usine de phosphates est la pire de cette aventure. Les camions n’ont pas arrêté leur va-et-vient de toute la nuit, venant charger leur cargaison. Mes camarades se sont couchés tard, et parlent très fort. Les effets de mon rhume sont à leur maximum, avec une fièvre à son maximum au moment de me coucher. Je me bourre de cachets, et n’ai même pas la force de mettre mes bouchons d’oreille. Grave erreur. Je dors très mal. Je pars le dernier, à 9h (ce qui correspond à une grasse matinée). Je me traîne sur les 20 km, heureusement relativement faciles, qui me séparent du prochain camp dans une torpeur et un mal-être profond. A 12h et 17h, je dois reprendre des cachets, à regrets, pour refaire tomber la fièvre. Marcher sous paracetamol, c’est comme se doper : les signaux du corps sont gommés, et il y a un risque de blessure à terme (ce qui ne loupera pas, d’ailleurs). A 14h, je n’arrive plus à avancer, et trouve refuge sous un arbre, puis à l’ombre d’un bloc de roche. Seule lumière positive à ce tableau navrant, le livre audio me narrant le chef d’œuvre de Jack London : Martin Eden, lu avec une grande subtilité par Denis Podalydès. Je comprends pourquoi beaucoup considèrent cet ouvrage comme un grand classique, tant la force, la subtilité, la psychologie et la beauté peuplent ce roman. Quelle puissance ! Il y a néanmoins quelques longueurs, et un certain romantisme sirupeux, une naïveté qui ne m’affectent pas trop : je n’ai rien d’autre à faire qu’écouter et marcher ! Vers 17h, je repars enfin pour couvrir les 5 km relativement plats qui me séparent du camp. Je pensais n’en jamais venir à bout. Je suis pourtant le premier arrivé. Tous mes camarades me rejoignent et investissent le gigantesque lieu de bivouac. Pour ma part, je n’engage pas la conversation et me concentre sur l’essentiel : une tente bien arrimée, mes bouteilles remplies à la base militaire non loin, des nouilles chinoises, et un bon lit. Demain, l’étape est ambitieuse. Je ne suis pas le seul à vouloir partir tôt. Mes voisins font sonner leur…
La météo tient ses promesses. A 5h du matin, la chaleur est déjà là. La veille, j’ai eu le plaisir de rencontrer deux shvilistes Israéliens. Les deux ont des directions opposées mais campent avec moi, sur les pelouses du petit parc municipal de Sapir. Je pars avec Nave, qui se dirige vers le nord comme moi. Mes appréhensions face à la chaleur s’atténuent un peu, en sa compagnie sur la prochaine étape. Alors qu’à 10h à peine, le thermomètre affiche déjà 35 degrés, je me dis que j’ai bien fait d’avoir un camarade de souffrance, en cas de trou d’air. Nave a 26 ans, parle un anglais parfait et pense démarrer des études dans le développement durable après ses 3 ans d’armée obligatoires. Il est à l’image de beaucoup de jeunes israéliens que j’ai croisé dans ma vie, s’il faut sacrifier au principe des stéréotypes : sympa, accessible, ouvert, malin, direct voire un peu brutal. Il envisage une d’étape de 35 km aujourd’hui. Il embarque 9 litres d’eau dans un sac à dos qui me parait énorme pour la randonnée de 3 jours qu’il s’est fixé. Pour ma part, je compte m’arrêter après 20 km, au premier des 5 camps ou je pourrais retrouver de l’eau dissimulée dans une cachette aménagée par un guide local, comme service aux randonneurs. A paris, après l’avoir payé, j’avais reçu le point GPS et la petite vidéo exacte pour rejoindre la planque. J’ai donc à disposition toute l’eau dont je pourrais avoir besoin pour la nuit ou le lendemain. La chaleur étant accablante, le but est d’arriver au bivouac avant qu’elle soit à son paroxysme, entre 13h et 16h : 36 degrés, jusqu’à 39 degrés sont prévus. Nous cheminons à travers de superbes canyons et des hauts plateaux désolés, sur lesquels rien ne pousse. Dans les lits de rivières à sec, au contraire, fleurit une belle diversité de fleurs. Le début de l’étape est très agréable. Rapidement, cela se corse et il devient nécessaire de faire des pauses régulières. Je me cale sur les pauses de Nave. Après une petite montée, nous redescendons au creux du canyon qui abrite le camp. Une route l’emprunte et quelques véhicules soulèvent de la poussière à l’horizon. Alors qu’on se disait qu’il était bien d’être à deux sur une telle section pendant la pause précédente, Nave décide de demander aux 4×4 de le prendre en stop jusqu’à l’objectif ! Je lui réponds spontanément que je marche jusqu’au bout, ne souhaitant pas couper le fil de mon projet avec des moyens motorisés. Je suis bon pour terminer l’étape en pleine fournaise, mon ombrelle déployée au dessus de la tète, alors qu’il se prélasse dans le 4×4 climatisé qu’il est parvenu à arrêter après avoir sprinté jusqu’à la route. Je le retrouve au bord d’une petite vasque pleine d’eau verte douteuse, surplombée par une immense et magnifique paroi en cirque, dans laquelle de nombreuses familles (et leurs chiens) ont décidé de venir rafraichir. J’ai des réticences à m’immerger dans ce bouillon de culture, fusse-t-il dans le pays qui inventa le baptême. Mes réserves ne tiennent pas longtemps, alors qu’à ma montre, la température atteint 38 degrés et que mon crâne, même a l’ombre, joue les cocottes minutes. L’eau à 23 degrés paraît glaciale, et est un moindre mal : plutôt l’infection que l’hyperthermie ! A 16h, après avoir vainement cherché une voiture pour l’emmener vers le sud, Nave se remet en route et attaque, par 36 degrés le chemin dans la falaise qui constitue la suite du shvil. Sagement, je reste tranquille l’après-midi, pas non plus fâché de quitter ce camarade avec qui le courant passait finalement à moitié. Deux familles très généreuses insistent pour m’offrir de l’eau glacée, des chips, et une espèce d’omelette à la farine et aux oignons, le matzo brei, et qui apparement, est un plat typique des fêtes. C’est très bon, même si par cette chaleur, c’est un peu gras ! Ce soir, je ne dormirais pas seul, alors que les 4×4 affluent pour décharger leur matériel de camping rutilant et libérer leurs marmots après des heures de piste. Ces barbecues familiaux sont joyeux, les israéliens profitent à fond de la chance qu’ils ont de pouvoir dormir gratuitement dans le désert. Les insectes de toutes sortes ne me lâchent pas, des petites mouches en particulier, qui ont la fâcheuse manie de piquer. Je me retranche alors dans ma tente (qui possède une moustiquaire) pour trouver un peu de repos, alors que le soleil disparaît enfin derrière les nuages. A ma grande déception, la chaleur ne descend pas pendant la nuit, contrairement aux prévisions. Je guette le thermomètre toute la nuit et le sens groggy. Mais le matin est un peu plus clément, à la faveur d’une légère brise. J’escalade les parois qui me séparent de la caldera (makhtesh en hébreu) de Ramon, nommée ainsi d’après le premier astronaute Israélien, Ilan Ramon. Le paysage est caractéristique des cratères de volcans, aux couleurs bariolées de noir et de rouge, à l’aspect lunaire et aux dimensions impressionnantes. C’est une gigantesque cuvette ovoïde, cernée de hautes falaises. Ce cratère a connu plusieurs éruptions, immersions sous la mer, dépôts de limons, plissements tectoniques. Il en résulte donc une diversité géologique étonnante. Le chemin croisé des fossiles d’ammonites, sortes de gros nautiles tombés autrefois au fond de l’océan, se retrouvent à l’air libre, emprisonnés dans la pierre. Un petit musée installé au bord de la falaise à Mitzpe Ramon, décrit cette anomalie géologique, ainsi que la faune qui occupe les lieux. Il revient aussi sur la carrière d’Ilan Ramon. Il se trouve qu’Ilan Ramon est malheureusement mort dans l’accident de la navette Columbia de 2003. Le reportage que l’on visionne ne parle pas des circonstances de l’accident, qui sont particulièrement intéressantes. La navette, quand elle rentre dans l’atmosphère, chauffe énormément. Elle dispose donc de protections en graphite et carbone pour éviter que la structure des ailes en aluminium ne fonde et que le vaisseau se désintègre. Or au lancement de la navette, cette protection a été endommagée par une plaque d’isolation qui s’est détaché de la paroi du lanceur, et est venu percuter l’aile, faisant sauter la protection et générant l’accident lors du retour. On apprend en ligne (https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Accident_de_la_navette_spatiale_Columbia) que les pertes de plaques isolantes étaient tellement courantes sur les vols précédents qu’elles n’étaient même plus corrigées, banalisées. Le problème a perduré sur plusieurs lancements (7 avec le dernier accident) alors qu’il avait déjà été parfaitement identifié et mentionné comme critique par plusieurs spécialistes. De plus, aucune inspection en orbite n’a été faite par l’équipage, alors que la tuile endommagée aurait été facilement détectée. Cette opération a été considérée comme non prioritaire et de toute façon inutile, car l’équipage n’était théoriquement pas en mesure de faire les réparations lui-même (même si l’on sait que sous contrainte absolue, l’être humain sait être créatif) Cette petite parenthèse pour dire que malgré le prestige de l’institution (la NASA) et la qualité des gens qui y travaillent, il persiste toujours des erreurs humaines qui paraissent édifiantes à ce niveau. Quand le process est trop complexe, que la bureaucratie gouverne, que les couches de hiérarchie sont trop nombreuses et que les gens ne sont pas concernés au premier chef par ce qu’ils font, le bon sens disparaît. Cet événement dramatique me rappelle beaucoup de situations vécues en entreprise ou visibles en politique actuellement. En ce qui concerne la faune, le petit reportage est passionnant, et j’y observe la palanquée d’animaux nocturnes dont je ne perçois que les traces pendant la journée : rapaces, loups, renards, ânes, ibex, gazelles, serpents, scorpions, lézards, caracals (sorte de lynx), oryx, chouettes, hérissons, porcs-épics, rats, etc. Pendant la journée, il n’y a que la merveille de diversité de petits oiseaux que l’on puisse observer. Tous les matins, ils donnent un concert qui me rappellent les forêts néo-zélandaises (c’est peu dire). La vigueur et la diversité est paradoxalement à son paroxysme dans les zones anthropiques : parcs, kibboutz, où les oiseaux jouissent d’arbres et de nourriture qui se fait plus rare dans le désert. Je poursuis mon chemin vers le but de la journée, ambitieux : Mitzpe Ramon. J’y ai réservé une nuit d’hôtel. Le temps est annoncé à l’orage, le soir. Cette chaleur des derniers jours m’a coupé l’appétit et m’a vidé d’une partie de mes forces physiques et mentales. J’ai quelques vertiges. J’ai sûrement besoin de repos et d’aliments sains, de sels minéraux en particulier. La difficulté de s’approvisionner correctement depuis plusieurs jours est aussi en cause. Les bourrasques fouettent le sable, des petites tornades virevoltent. Les nuages succèdent au soleil et font varier la température de 20 à 30 degrés instantanément, et inversement. Un énorme cumulonimbus menace, au sud. Le chemin coupe la route qui mène à Mitzpe Ramon. Je ne me sens pas de marcher 3h de plus sous un déluge glacé, avec en prime des risques d’inondations et de torrents délicats à traverser. Je décide donc de faire du stop pour rejoindre l’hôtel, et procrastiner cette section. Je n’attends heureusement pas longtemps. Un jeune céramiste, Eli, nuque longue majestueuse, bagouzes ornementales et piercing nasal proéminent, m’embarque dans une voiture qui s’apparente à un taudis roulant. Cela me fait sourire. Il conduit sa petite Daihatsu automatique hors d’âge comme un yogi : un pied nu sur le siège, le genou au dessus du volant, un pied sur l’accélérateur. Son jeune chien dégoulinant de douceur vient s’installer sans façon sur mes genoux. L’irrévérence d’Eli à la bienséance hygiéniste de la société actuelle me ravit. Quand on ne considère plus le matériel, on se resserre autour de l’essentiel, c’est mathématique. Certes, Eli semble un peu dans l’excès. Mais il est simple et spontané. Bizarrement, ce ne sont jamais les SUV rutilants qui s’arrêtent pour me prendre en stop. Près de Zukim, j’ai passé plus d’une heure à tendre le pouce, par 35 degrés, vers des véhicules clinquants (les israéliens aiment leurs voitures, surtout les énormes 4×4 américains) se précipiter vers Eilat. Alors que je jetais l’éponge pour revenir à mon point de départ à pied (9 km quand même), un jeune couple adorable s’est miraculeusement arrêté pour m’emmener. Avant d’arriver en ville, Eli me propose de nous arrêter m’offrir un dessert local, un malabi, dans une gargote au bord de la route. Il parle parfaitement français (ses deux parents en sont originaires), l’allemand, l’anglais. Il y a non loin une petit marre ou son chien pourra se rafraîchir. Mais rapidement, l’orage crache ses premières grosses gouttes. La foule court vers les voitures. Eli me dépose généreusement à mon hôtel, et j’y reste cloîtré pour le reste de l’après-midi, la migraine tenace, groggy. L’auberge est atrocement bruyante. Des familles aux enfants mal élevés (il me semble qu’ici, plus qu’ailleurs ou j’ai jamais été, l’enfant soit roi) occupent les grandes tables de la pièce principale. Ils ne daignent se taire qu’a 22h, l’heure légale demandée par la direction. Les lits ont le malheur d’occuper la mezzanine qui domine la salle principale, sans cloison. Peu importe, les bouchons d’oreille et mon épuisement ont raison du vacarme. Une odeur de cuisine forte à base d’huile de friture vient chatouiller ma narine. J’hésite entre l’appétit ou la nausée. Je somnole avec bonheur sous la symphonie des gouttes qui martèlent la tôle métallique du toit de cet ancien entrepôt. L’auberge de jeunesse n’est pas chère, mais relativement propre. Elle constituerait un cauchemar absolu pour un inspecteur des normes techniques (accès, électricité, plomberie, incendie), tellement elle est bricolée et loin du compte. Mais l’essentiel est là : on s’y sent bien. Le temps est meilleur, même si une nappe de brouillard bruinant enserre la ville. Je décide de marcher la petite section que j’ai escamotée la veille. Malheureusement, la route qui y mène est bloquée par la police. Une coulée de boue l’a bloquée, la veille. Je me résigne à transformer cette déconvenue en avantage : je vais pouvoir me reposer davantage et faire un peu de tourisme. Le ravitaillement, en cette semaine de fêtes, est toujours…