Tapage nocturne en forêt
Belden se résume à un camping au bord d’une rivière, d’une voie ferrée et d’une route, fiché au fond d’une gorge assez abrupte. Pas gros intérêt, à part un bon repas au restaurant de l’endroit, une trempette rapide dans la rivière, et un léger ravitaillement pour tenir jusqu’à la prochaine destination, Chester. C’est toujours un plaisir carabiné de gagner Chester. Belden est aussi connu pour accueillir des festivals de musique électronique en plein air. Il semble d’ailleurs que l’un d’entre eux se prépare, avec sa cohorte de faune, de drogues et d’indigestion de basses. Vraiment pas le genre de choses que j’ai envie de vivre sur ce chemin.
Je ne perds pas de temps, et une fois passé le pont sur la « rivière de la Plume » (« Feather River »), le trail redémarre fort. C’est pas moins de 20km d’une montée traîtresse qui démarre, 1500m de dénivelé positif sous un soleil implacable, pas d’ombre, et une chaleur à 35 degrés. Je vois 3 litres en 2 heures, soit trois fois la norme. Mais les sources sont heureusement nombreuses, et je n’ai que 2 jours de vivres dans le sac : je marche léger.
Mais ce n’est pas les serpents qui seront cette fois ci à l’honneur. Alors que j’ai enfin atteint la forêt, je fais mes derniers pas avant de rejoindre l’endroit choisi pour camper, vers 20h. Soudain, j’entends un grand fracas de branchages et de feuilles mortes à cinquante mètres devant moi, sur le chemin. à une quarantaine de mètres, je vois une grosse boule de poils couleur cannelle détaler dans la forêt, parallèlement au chemin. Il s’agit d’un jeune ours, de taille plus que respectable. C’est à dire à peu près 250 kg, au dire des spécialistes d’après mes photos. Puis il s’arrête et me regarde à distance. Merci de prendre la pose Mr Ours, ce coup-ci j’ai ma photo, comme un parfait touriste. Le réglage est bancal, la mise au point est floue, mais l’essentiel est là ! Puis, chacun vit sa vie : il repart tranquillement dans la forêt, alors que je poursuis mon chemin dans l’autre sens.
Quel plaisir de pouvoir en observer un d’assez près, après ces kilomètres passés à n’en voir que des traces, ou la silhouette. C’est toujours une chance et un grand moment, que certains ne connaîtront pas sur le PCT. Celui-ci a décampé en me voyant, ce qui est leur comportement normal et courant, et ce qui m’arrange bien, de fait. Car un ours noir qui vous charge est un animal qui vous a identifié comme une source potentielle de nourriture.
Le problème, c’est que ce Monsieur est sur son territoire. Et que le camp est à quelques centaines de mètres de la rencontre. Il y a, de surcroît, un commentaire récent et précis sur ce camp et cet ours sur mon application de cartographie.
Qu’à cela ne tienne, il est tard, je suis fatigué, je plante la tente : « après tout, des ours, il y en a partout, me dis-je. » j’y retrouve « Haff », hiker croisé peu avant a une source. La cinquantaine, véloce (50km par jour), ce New Yorkais est très jovial et drôle. Il est ingénieur géologue dans le civil. Il connait très bien l’Europe, l’Italie et la France en particulier. Il parle vite et fort. Ses jurons lui servent de ponctuation, ils remplacent les virgules et les points d’exclamation. Le camp de Myrtle Creek est parfait, on peut faire du feu, l’eau coule à proximité. On passe une super soirée et on discute bien autour du feu. Enfin, on pend les sacs de bouffe à un arbre, puis on va se coucher assez tard (23h). Impeccable.
Problème, entre 1 et 2 h du matin, un barouf pas possible me réveille dans cette forêt parfaitement silencieuse. Avec la délicatesse du type qui rentre chez lui bourré de sa soirée au bistrot, le pas lourd sur les branches mortes, sous mon vent, une bébête plutôt leste se rapproche tranquillement mais sûrement de ma tente ! Et vu le bruit que fait le bois en cassant, ce n’est pas une biche, ni un lièvre, ni un homme.
J’ai aucun doute sur le fait qu’il s’agisse du maître des lieux. Celui qui n’a pas de prédateurs, à part son cousin le Grizzly…
Je me dis dans le demi-coma de mon sommeil : Le propriétaire du camping vient certainement réclamer le paiement pour la nuit sur mon emplacement P3 de l’allée 5, face les sanitaires, avec option eau, électricité, et parking. Blague à part, droit dans mon sac de couchage, je ne la ramène pas trop. Je suis content de m’être donné le mal d’avoir mis ma bouffe et ma trousse de toilette dans un arbre. C’est déjà . La majorité de mes collègues de trail ne le font pas. Ils ont été mal habitués dans le désert sud californien, ou il n’y a pas d’arbres et peu d’ours. J’ai bien respecté les règles pour accrocher mes vivres : au moins 3m du sol et 1,5m du tronc de l’arbre, à une trentaine de mètres du camp. Le problème, c’est que j’en ai oublié une : le fait que le vent ramène l’odeur du sac vers ma tente…
Pour le faire fuir, je n’ai pas eu l’éloquence de Sylvain Tesson en Sibérie. Celui-ci, de retrouvant soudain face à face avec un ours, ne trouva qu’à lui lancer un aussi spontané qu’efficace : « casse-toi mon gros lapin ! ». Il faut signaler que l’ours sibérien est potentiellement plus dangereux que le plus placide ours noir californien.
Le simple « dégage ! » auquel j’eu recours fut d’une efficacité assez limitée. Le « pschitt » suivant également. Eh oui, un ours aussi, ça se pschitte. En effet, après un temps d’arrêt et un bref éloignement précipité, mon visiteur d’un soir revint à quatre reprises voir si j’y étais toujours. Ce petit manège s’est répété entre 1h et 3h du matin, l’heure la plus pratique pour gérer les problèmes de voisinage, vous en conviendrez.
La nuit s’est finie bizarrement assez bien, la fatigue l’a emporté et le promeneur curieux a bien voulu me laisser un peu de répit avant le lever du soleil.
J’écris ces lignes pendant ma pause déjeuner, avant de repartir pour 25 kilomètres supplémentaires, dont 15 en montée. Pendant ce temps, je pense à ce salopard qui m’a écourté la nuit, et doit être en train de se taper bonne sieste dans sa tanière ! Mais je lui pardonne, ça fait de bons souvenirs et casse un peu la monotonie de ces derniers jours. Car la journée est assez calme. Et la montée monotone. Certains marcheurs ont écrit des messages sur les jalons du chemin cloués dans les arbres. Certains philosophiques, certains drôles, d’autres pas. Tous en violant la règle sacrée du LNT : Leave No Trace, ne pas laisser de traces sur son passage. Je suis content de voir que je ne suis pas le seul à souffrir, quand le temps devient très long, et que les montées n’en finissent jamais. Celui-ci est particulièrement trivial, direct et réaliste.
Je retrouve quelques têtes connues à la pause de midi, puis le soir. Les sources d’eau sont assez éloignées, il faut quand même faire gaffe. Une vingtaine de kilomètres les séparent. L’écosystème s’assèche à nouveau. J’apprécie particulièrement un joli passage sur la crête, crénelée de dents de roche volcanique violacée. Le temps est parfaitement calme, mais de nouveau, un feu de forêt lointain vient jeter sur l’atmosphère un voile blanchâtre. La visibilité est légèrement réduite, les couleurs moins prononcées, mais une ambiance particulière, cotonneuse se dégage, renforcée par un silence absolu. Je dînerais et camperais avec les copains retrouvés là, Olivia « Daiquiri » et jeff « Doctor Strange », en essayant de me défendre mes affaires des chevreuils attirés par le sel résiduel de notre équipement.
Puis il faudra redescendre, et se faire prendre en stop à la route pour rejoindre Chester.
Entre temps, nous aurons passé la barre symbolique des 1320 miles, la montagne chemin pour ceux qui ont démarré du Mexique. Pour ma part, je me contenterais de fêter mes 855 miles, soit 1400 km. Un peu plus que la France du nord au sud. Que c’est grand, la Californie …
Un commentaire
Ludo
Aller delt tu tiens le bon bout !! Content de voir que tu apprécies la marche. ..
Grosses bises depuis le fin fond de l’Auvergne ou on passe notre 1ère semaine de vacances familiales. Ludo