Oregon

On a marché sur la lune

Shelter cove, Bend.

Depuis Crater Lake, la température a bien baissé. Particulièrement avec l’arrivée du brouillard. Les rayons du soleil sont filtrés, la terre n’émet plus ses infra-rouges de chauffage central. Après Shelter Cove, on descend encore d’un cran, ce qui implique de jouer avec les couches de vêtements selon la nuit, le jour, le repos, l’activité. Les températures sont bien automnales, autour des 5 degrés au plus bas.

Odell lake
Mousses
Pleine lune vue de la tente

Après un intermède de beau temps, le ciel se dégrade à nouveau. Une belle journée de 53km me gratifie d’une aponévrosite au pied droit (inflammation de la plante du pied). Décidément, le trop plein d’enthousiasme a avaler du kilomètre se paye cash.

Une petite pluie fine s’invite pour finir la journée et passer la nuit avec moi. Je ne peux pas trop me plaindre, en trois mois de marche, c’est quasiment le premier jour de précipitations, à part quelques gouttelettes avant Lake Tahoe. De plus, pendant la nuit, la gêne est très limitée. j’espère simplement qu’elle s’en ira pour me laisser découvrir ces fameux panoramas des Sisters, l’un des points phares de l’Oregon et du PCT.

Obsidienne
Art contemporain de vers à bois
Normalement il y a des montagnes derrière

Mais l’aponévrosite, c’est plus embêtant, ce genre d’inflammation est tenace. Celle de mon pied gauche, déclenchée en fin de Sierra, dure depuis un mois. Elle est stabilisée par les semelles, mais est toujours là. Elle ne m’empêche pas de marcher, et n’est pas trop douloureuse, sauf le matin. Elle m’impose simplement de ne pas tirer dessus. Tant que je peux avancer et que cela n’empire pas, je m’estime heureux : dans sa forme aiguë, ce genre d’inflammation peut très bien vous clouer sur place. Mes pieds vont pas trop mal, à part des nerfs pincés qui m’empêchent de sentir 2 des orteils de chaque pied ! Pas trop douloureux, et cela reviendra une fois rentré en France. J’ai pris deux pointures, passant du 43 au 45. Mes chaussettes font un superbe travail, qui m’évite toute ampoule. Mais je pense à changer de chaussures, pour éliminer mes symptômes. C’est toujours une décision difficile à prendre. On sait ce qu’on laisse, on ne sait pas ce que l’on gagne. Les chaussures restent un élément clé de l’équipement.

Coté poids, J’ai perdu 12kg, passant de 90 à 78kg, qui semble être mon poids de forme. En tout cas, il est stabilisé, à grands renforts de fromage, de snickers et de Nutella.

L’état de mes pieds après une journée de marche. La poussière passe à travers le textile respirant de mes chaussures.
Mes nouvelles chaussures, un look atroce mais ultra confort, on marche sur un nuage. Devrait améliorer mes bricoles aux pieds.

Le lendemain le temps se découvre peu à peu, et à l’heure du déjeuner, me permet d’apercevoir les Sisters, trois volcans accompagnés de glaciers. La fin de la journée est un rêve, le chemin serpente dans les coulées de lave solidifiées et la vue porte (enfin) a des kilomètres. On aperçoit au loin le mont Washington, les « Three Fingered Jack » et le mont Jefferson. Le PCT les côtoiera plus au nord.

Rain gear
Pas gouté
Obsidian cascade
Sisters
Monts Washington, Jefferson, Three fingered jack
North Sister
Mordor

La marche dans les champs de lave est aussi pénible pour les chevilles que fantastique pour les yeux. Beaucoup de commentaires évoquent un calvaire. Certains hikers « oublient » de marcher cette portion d’une petite journée, située entre les deux routes d’accès aux villes de Sisters ou Bend. Comme à Tehachappi, la technique est de faire du stop à la première route pour atteindre la ville, puis de se faire raccompagner à la deuxième. Heureux de ne pas tomber dans le piège des petits arrangements avec le chemin, je suis récompensé de ma ténacité.

Subjugué, j’oublie complètement la fatigue articulaire. Par endroits, la lave est à nu, à d’autres, la forêt est venue la recouvrir. Après une brève montée dans un bois, le chemin aborde une longue traversée désertique, alors qu’il approche le cratère Belknap. Evoluer sur les rejets du volcan me plonge dans un décor de fin du monde, lunaire, sans quasiment aucune végétation, et personne sur le chemin. Ce matin là est magnifique. Frais, ensoleillé, une petite brise et personne à l’horizon. Le volcan a fait le vide autour de lui. Un court détour par un cratère secondaire (little Belknap) me permet d’observer de très près quelques tunnels de lave, et un puits sans fond. C’est une petite cheminée de lave. Mieux vaut ne pas tomber dans cette oubliette, et ne pas être là quand tout ça va se réveiller. Mieux vaut ne pas tomber tout court, la roche est coupante comme du corail.

Belknap crater
Cheminée de lave
Hedgehog cairn
Qui ne tente rien…
Belknap crater
Chevaux croisés sur le Trail
2000 miles depuis le Mexique !

Le chemin me conduit ensuite gentiment à la route qui relie Portland à Bend, pour une de ces parties d’auto-stop que j’exècre. Surtout quand je suis seul, la patience est alors mise à rude épreuve. L’incertitude du temps que cela va prendre, les nombreux échecs et le fait de dépendre des autres, suffisent à rendre l’exercice pénible. Mais la providence m’amène assez vite un jeune couple en pick-up qui s’arrête. Ils m’offriront une glace à la ville de Sisters, me la feront visiter et m’emmèneront jusqu’à ma destination et mon hôtel, à Bend, à 70 km de là. Ce sont des californiens qui habitent Hawaï, en vacances dans l’Oregon. La générosité américaine se retrouve dans ces petits gestes. Elle n’a pas cessé de se manifester, tout au long du PCT, mais est particulièrement forte ici, dans l’Oregon. Les randonneurs à la journée nous offrent de l’eau, des barres énergétiques, des fruits, quand ils nous voient. Faire le PCT donne certes un statut à part, mais je constate, comme partout dans le monde, que la générosité et le sens de l’accueil est fantastique. De quoi redonner de la confiance dans l’être humain à un poseur de bombes.

Je retrouverais avec grand plaisir Rick à Bend. Il est arrivé la veille, c’est un hasard de se recroiser. J’avais de l’avance sur lui, mais il a fait du stop à la première route, ce qui nous permet de nous retrouver inopinément. Nous passerons la soirée ensemble après avoir posé mes valises dans la petite mais confortable auberge de jeunesse du centre ville. Nous nous offrons le meilleur « steak house » de la ville.

Bend est une ville importante de l’Oregon, assez riche, au centre ville charmant, très orientée vers les sports d’extérieur, le ski, et la bière artisanale. On compte pas moins d’une vingtaine de brasseries ! Très accueillante donc, avec sa rivière, ses kayaks, ses rues pleines de magasin de ski, de vélo, de montagne, de restaurants et bars soigneusement décorés. je m’y verrais bien passer quelques années ! C’est mon dernier arrêt important avant Hood River, la rivière Columbia et l’état de Washington. J’y fais mon ravitaillement pour l’Oregon, le plein de calories, un jour off, et achète ma troisième paire de chaussures.

Le magasin REI de Bend est un des plus grands. C’est le temple de la rando et des sports de nature, 1000m2 de produits pointus accompagnés de conseils ultra précis. J’en profite pour faire quelques emplettes. Conseillé par une coureuse d’ultra-trails (courses en montagne de 160km), j’opte pour les « Hoka Speed Goat ». Un choix impliquant, puisque la réussite de mon PCT en dépend. Mais la rigidité des « La Sportiva » avait achevé de me convaincre de changer. Je ne regretterais pas ce choix.

De même, de nouveaux sacs étanches en nylon, plus résistants, remplacent avec bonheur mes anciens équipements en DCF, qui n’ont pas tenu 3000km sans se trouer. J’aborde en effet des contrées à la météorologie plus exigeante. Je ne le sais pas encore, mais cela sera également l’une de mes meilleures décisions.

L’auberge de jeunesse de Bend, avec hamac, barbecue, salon TV, cuisine, etc.
Rick s’est bien remis de son mexicain
REI de Bend
Gros niveau de délire
Jouet
Joli travail de pub

Le Canada se rapproche, je n’ai plus que 1000 km à parcourir vers le nord, dont 250 km d’Oregon. Mais la partie n’est pas gagnée :

– C’est plutôt montagneux, avec de bons cols.

– il y a beaucoup d’incendies en ce moment, dont deux sur le chemin lui même. Le PCT est notamment fermé à la frontière avec le Canada, conduisant les premiers marcheurs à écourter la fin .

– les points de ravitaillement sont petits et mal achalandés. Je vais sans doute devoir expédier des boites depuis l’Oregon.

– La météo sera de moins en moins sèche, et de plus en plus froide !

Let’s see what the trail brings ! (Attendons de voir ce qui se passe sur le chemin !)

9 commentaires

Répondre à Florent Doszpoly Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *