Contradictions en chemin
Le marcheur sur le PCT est comme n’importe quel humain : il est pétri de contradictions. Il a simplifié sa vie pour un moment, 6 mois. En retirant du superflu, en visant à l’essentiel, il souhaite accéder à plus de cohérence avec lui même, avec le monde.
Il y parvient sans doute. Beaucoup de positif resssort de cette expérience. Mais il est amusant de constater que de honteux paradoxes subsistent. Yuval Noah Arari, dans son passionnant ouvrage Homo Deus, parle précisément du fonctionnement de ces conflits internes. Le « moi narrateur », invente des histoires cohérentes pour remettre de la logique dans le chaos du « moi expérimentateur », celui directement confronté à la réalité.
L’experience du PCT valide parfaitement cette thèse. Il convient donc d’être très prudent dans la portée d’une aventure qui porte en elle-même ses propres limites. Particulièrement à l’heure de l’autosatisfaction généralisée qui sévit sur les réseaux sociaux, dominée par un « storytelling » cousu de fil blanc. Ces sujets tabous sont d’ailleurs soigneusement évités sur le trail, ou en dehors, sauf exception. Comme un bon français biberonné au cartésianisme et au pessimisme, je vais ici m’attacher à mettre le doigt là où ça fait mal. Bien entendu, je suis concerné par une bonne partie de cette énumération.
Liste non exhaustive :
- Le marcheur du PCT fuit la société mais il en retrouve une encore plus serrée, rigide, ritualisée.
- Il pense être dans une quête, alors qu’il est souvent en fuite.
- Il se targue de simplicité et de décroissance, il marche pourtant avec 2000€ de matériel sur le dos.
- Il souhaite vivre en autonomie et dans la nature, or il dépend plus que jamais des produits manufacturés issus de la société de consommation.
- Il ne laisse jamais de traces de son passage sur le chemin (la fameuse règle du « leave no trace »), mais il produit bien plus de déchets qu’il ne le ferait dans sa vie classique. Par praticité, il opte souvent pour des produits sous emballages plastiques, individuels peu recyclables.
- Il souhaite évoluer librement dans la nature mais il suit un chemin aménagé, parfois comme un robot. Quand le chemin se dégrade ou qu’il doit prendre un détour, il râle. Quand il doit faire des kilometres hors PCT, c’est un drame.
- Il veut simplement observer le milieu naturel, mais qu’il le veuille ou non, il fait pression dessus par son simple passage, ses bivouacs.
- Il prend l’avion pour aller marcher à des dizaines de milliers de kilomètres de chez lui, mais il ne connaît pas ses propres montagnes.
- Il souhaite échapper aux villes mais il y retourne régulièrement avec le plus grand plaisir.
- Il souhaite faire l’expérience de la solitude. Mais bien vite, il croise beaucoup de monde sur les sentiers.
- Il souhaite l’immersion totale dans la nature, alors qu’il est incapable d’en déchiffrer le millième de ses subtilités, et s’y intéresse généralement assez peu.
- Il vit une aventure de riches qui veulent jouer aux pauvres (Le coût d’un PCT varie entre 5000 et 10 000 euros).
- Il souhaite la déconnexion avec la vie réelle, or la première chose qu’il fait quand il capte du réseau est de rafraîchir sa page Facebook, Instagram, blog.
- Il cherche à ralentir sa vie mais il se rue aussi vite que possible vers le Canada, enfilant les miles comme autant de trophées.
- Il penche vers une certaine sobriété de consommation, et il se jette sur les pires formes de junk food (malbouffe) dès que c’est possible.
- Il veut admirer la nature mais il n’est concentré que sur son kilométrage ou le prochain ravitaillement.
- Il souhaite être dans le moment présent. En réalité il ressasse le passé ou fantasme les étapes à venir. Combien de fois ais-je entendu, par exemple : « j’en ai marre du désert, j’ai tellement hâte d’arriver dans la Sierra ».
- Il pense accéder à la sagesse et se contenter de peu, mais il écoute des podcasts ou de la musique pour occuper le vide de sa vie intérieure.
- Il cherche un certain équilibre personnel, mais coupé de ses amis, de sa famille, de la culture, d’autres projets à plus long terme, d’un environnement professionnel stimulant, le marcheur peut souvent tourner à vide.
- Après le PCT, il se répand en descriptions dithyrambiques sur une expérience magique, alors qu’en réalité, la majeure partie de sa marche était majoritairement faite de souffrance, de discipline, de routine, de solitude et d’ennui.
Moralité : avant d’être en pleine cohérence avec soi même, sur le PCT ou ailleurs, il y a encore du boulot !
Restons humbles !