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Andorre et les Pyrénées Ariégeoises

Nous arrivons à l’Hospitalet dans la précipitation, les jambes abimés par la descente, sous la menace de l’orage. Avec bonheur, nous parvenons à ravitailler correctement dans le restaurant-bar-superette, resté heureusement ouvert assez tard, et doté des denrées suffisantes pour repartir avec 3 jours d’autonomie. Nous ne perdons pas de temps. Des individus bizarres, attablés devant un match de football, nous fixent désagréablement, alors que nous faisons nos courses. Nous comprenons assez vite qu’il s’agit de trafiquants de cigarettes, qui attendent le signal pour aller chercher, de nuit, des paquets déposés à la frontière de l’Andorre, en pleine montagne. Ils repartiront sans attendre en convoi banalisé pour livrer. Le café est leur QG temporaire. La tradition de contrebande frontalière séculaire est encore bien vivante ici, dans ce village désolé et glauque de fond de vallée. On ne s’attend pas à la fréquenter au grand jour. Nous quittons rapidement l’endroit pour nous établir au camping municipal, non loin, dans une humidité totale et une lumière sinistre.

l’Hospitalet, le lendemain matin.

La nuit est réparatrice, mais courte. Le réveil est difficile. Nous nous faisons violence pour repartir tôt à l’assaut du versant opposé, pris dans une épaisse nappe de nuages. Rien n’a séché. Nous remontons immédiatement un chemin bien raide, qui nous réveille. Nous passons la couche de brume qui semble vouloir nous poursuivre, poussée par des vents ascendants. Nous gagnons la course, nous ne nous faisons pas engloutir. Si l’on en croit la météo, il y a un faible risque d’orage le soir. Aussi, nous hâtons le pas pour passer le col de l’Albe dans des conditions correctes. De l’autre coté, le temps est dégagé. Néanmoins, la pause déjeuner est expédiée en 45 minutes. Le chemin est souvent technique, sinuant dans les blocs, les pierriers et les éboulis. Il faut faire un peu attention. L’ambiance est très minérale, les monts alentours nous dominent de toute la sévérité de leurs roches sombres. Les Pyrénées ariégeoises sont brutes. Plusieurs lacs se succèdent, certains fermés par un barrage artificiel et quelques vieux baraquements, qui tranchent avec l’hostilité de l’endroit. Nous croisons peu de monde par ici. Un vieux pluviomètre rouillé, déformé par les intempéries, datant surement de la construction du barrage, veille sur la mer de nuages.

Nous basculons en Andorre sans le savoir, et finissons par atteindre le réfuge de Juclar, non loin du col éponyme, notre objectif minimal de la journée. A la vue du temps correct et de l’horaire acceptable, nous décidons de poursuivre jusqu’à un refuge non gardé, Cabana Sorda. Il est en bon état, et donne envie du rester un peu.

la cabana Sorda

Quand nous y arrivons, nous faisons connaissance avec « G », un vagabond Lituanien sympathique et bavard qui fait le tour de l’Europe avec son sac à dos depuis trois ans, sans argent ni projet précis. Un clochard des champs, ou plutôt des montagnes. Les discussions sont intéressantes, avec cette personne qui vit dans la simplicité extrême et nous questionne sur nos conventions, nos modes de vie effrénés. Lui vit de paysages et de générosité. Même si son choix, par essence extrême, induit un déséquilibre : ne pas avoir d’attaches, de lien durable est compliqué à vivre, à long terme. Les Diogènes et autres beatniks ont toujours existé, faisant le pari d’une certaine forme de liberté en se soustrayant aux lois du « système ». Mais est-ce un mode de vie tenable ? Et, comptant sur la générosité des autres, des rejets de la société ne vivent-t-ils pas aux dépends du système ? La liberté réelle est une utopie, ou plutôt une idéologie : l’essentiel est d’y croire, de la sentir en soi. D’ailleurs, G, dans sa faconde et son manque d’écoute, tend à vouloir se prouver à lui même plus qu’à son interlocuteur qu’il a fait les bons choix. Verbaliser sur la réussite de son entreprise, n’est-ce pas une façon de reconnaitre que l’on ne l’a pas encore tout à fait atteinte ? Visiblement indigent, il me fait de la peine avec son sac en plastique rassemblant ses maigres provisions, et son pain sec. Je lui lui propose quelques unes de nos vivres, du fromage et du saucisson, qu’il accepte avec un plaisir empressé. Je me demande si je lui en donne trop, ou pas assez. Les mendiants ont le don pour vous questionner dans votre rapport à autrui.

G se révèle être un gentleman, discret, ordonné, donnant de sa personne pour nettoyer la cabane et respecter la tranquillité de chacun, s’il ne souhaite pas bavarder. Les deux autres occupantes du refuge, arrivées peu après nous, nous pourrissent littéralement la nuit. Elles souhaitent partir à 4h30 du matin, mais leur sac n’est pas prêt. Un sac de randonnée, manipulé dans le noir pendant 30 minutes, fait beaucoup de bruit et nous réveille plusieurs fois. Enfin prêtes, voyant le mauvais temps dehors, elles se ravisent et choisissent de prendre le petit déjeuner bruyant sur la table attenante. Vers 6h du matin, G, qui n’en peut plus, rassemble ses affaire en 15 minutes et part sans un mot, ni un regard. Je l’observe partir sur le chemin qui surplombe la cabane à vive allure. Il est hors de lui. Nous sommes aussi énervés, mais ne disons rien et quittons l’endroit peu après, fuyant les indélicates, dans les pas de G, dont on reconnait facilement l’emprunte de ses baskets légères et lisses sur la glaise humide du sentier.

Nous ne sommes pas tranquilles, la météo est annoncée une fois de plus compliquée, avec des orages prévus dans la journée. Difficile de savoir exactement où et quand cela éclatera. Nous ne voulons simplement pas être dessous. Nous évoluons en effet à des altitudes exposées, entre 1500 et 2500m, sans beaucoup d’opportunités de repli. Mais il faut avancer, et surtout échapper à ces fâcheuses.

Nous grimpons raide dans le nuage, passons un col abrupte puis le descendons. Nous atteignons assez rapidement un autre petit refuge non gardé, le « refugi Coms de Jan », ou nous sommes surpris de retrouver G. Il n’est en effet pas vraiment équipé pour la heute montagne et les chemins escarpés. Nous discutons et comprenons que nous sommes sur la même longueur d’onde concernant le partage des cabanes entre randonneurs et le respect d’autrui. Nous décidons de faire une pause pour la journée, ou un peu moins, si le temps nous le permet. Nous avons besoin de repos et finalement, une belle averse tombe, accompagnée de quelques rafales de vent. J’en profite pour faire une belle sieste réparatrice sur le lit métallique de la petite pièce. Les deux filles arrivent, et on droit à un sermon de G. Il me donne une leçon de communication non violente, en terminant son réquisitoire en prenant les filles dans les bras. Déchargé de toute rancune, mais pas victime pour autant, G manifeste une attitude presque bouddhiste.

En milieu d’après midi, le temps semble s’améliorer et nous repartons pour une petite virée de 3h30 jusqu’à la fin officielle de notre étape, près du refuge de Sorteny, non loin de la petite commune d’El Serra. G reste sur place, les deux filles sont déjà reparties. La fin de l’étape est magnifique, et malgré le risque météo, nous prenons un vrai plaisir dans l’ascension rapide, raide, sauvage, du col menant au Val Sorteny. Ensuite, une longue descente nous emmène en fond de vallée, pour retrouver une végétation abondante. Ici, pour une fois, les champs n’ont pas été pâturés, et laissent proliférer une flore abondante et variée.

L’avantage de l’Andorre est d’être parsemée de refuges, gardés ou non, et de cabanes pour s’abriter. L’inconvénient est qu’il est officiellement interdit de bivouaquer. Le dortoir du refuge étant complet, nous n’hésitons pas longtemps à nous éloigner un peu pour camper près de la rivière qui coule non loin de là. Nous nous cachons dans un bosquet d’arbres, trouvons un endroit à peu près plat pour poser la tente, dinons et nous couchons tôt, pour une nuit réparatrice. Les filles campent aussi, non loin, au meilleur emplacement. Les retrouvailles sont tendue : toute à l’heure, nous nous sommes associés à G pour leur signifier nos réserves sur leur comportement déplacé. Nous sommes toujours en Andorre, que nous quitterons demain sans regrets. Même si les montagnes sont magnifiques, nous aspirons à un peu plus de tranquillité et de liberté.

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